L'exquis pâté en croûte !


Je vous ai déjà parlé de pâté en croûte, du bonheur de cette charcuterie pâtissière sur laquelle j'avais posé ces mots-là :

"Pâté en croûte : charcuterie pâtissière composée d'un pâté cuit dans une pâte feuilletée ou brisée. 

C'est merveilleux cette idée de charcuterie pâtissière, c'est une invitation gourmande, une promesse d'amour heureux, la grâce d'une nappe blanche, l'éclat de couverts argentés sur une table de banquet. C'est la lame façonnée par le temps d'un couteau de cuisine sur les carreaux rouges d'une vieille toile cirée, le grès antique d'un pot de cornichons, les côtes craquantes d'une laitue pommée. Une entrée de mariage, un dîner de paysans... et l'instant suspendu où le fondant beurré se mêle en bouche au hachis épicé, à la gelée corsée, la surprise des morceaux aux fiançailles improbables, où le rustique d'un bout de cochon côtoie le soyeux d'un foie gras ou l'élégance de reine d'une langoustine nacrée.

C'est surtout le retour en grâce d'un des fleurons de notre gastronomie, de ces recettes qui prenaient le temps, aux gestes répétés, un rituel de cuisinière qui trouvait son accomplissement dans la première tranche coupée révélant le savoir-faire, les couches multipliées, la mosaïque charcutière au marbré chatoyant, et la fierté de la femme aux doigts usés déposant sa belle ouvrage au centre du plateau."

C'était au printemps, à l'occasion de la confection d'un pâté aux ris de veau, foie gras et langoustines, dont je vous dévoilais la recette ici. Aujourd'hui c'est gibier, foie gras toujours et insert de boudin noir. Dans le pur esprit de celui que j'ai appris à faire aux côtés de Soufiane Assarrar à l'Huîtrier-Pie, un merveilleux restaurant gastronomique sis dans une petite rue du bas de Saint-Emilion et dont je vous ai déjà parlé il y a quelques semaines

Ce virtuose du piano exécute à merveille les  plats traditionnels de la grande cuisine française, comme le lièvre à la royale, le cochon de lait farci et bien sûr le pâté en croûte. Il m'a livré pas à pas les secrets d'un pâté réussi, qui nécessite un peu de matériel, essentiellement un moule adéquat, une sonde et un hachoir à viande. 

Les règles d'or du pâté en croûte :

1) le moule est un élément capital dans la recette du pâté en croûte. Les plus habiles pourront réaliser leur pâté en croûte dans un moule à cake, mais un moule aux côtés amovibles, si possible perforé pour une meilleure cuisson de la pâte, vous facilitera grandement la vie (par exemple un moule GEO forme de de Buyer). Il représente un investissement, mais il vous le rendra au centuple.

2) le pâté en croûte c'est un équilibre entre une pâte étalée régulièrement, ni trop fine ni trop épaisse, des viandes hachées, mais pas trop finement non plus, mêlées à des morceaux plus gros, des inserts, et une gelée. Trop de gros morceaux et il manquera de moelleux, trop de hachis fin et il ne sera qu'un vulgaire pâté. Trop de pâte et il sera bourratif. Il faut donc être attentif à la fois à chaque étape de préparation et lors du remplissage.

Ingrédients (pour un pâté cuit dans un moule de 48 cm de long)

pour la pâte : 

1 kilo de farine

550 g de beurre

4 oeufs plus 2 jaunes

15 cl d'eau

15 g de sel

1 jaune d'oeuf pour la dorure

un peu de poudre de charbon alimentaire

pour environ 2 kilos de farce et d'inserts : 

300 g de gorge de porc

500 g d'échine de porc

50 g de foie gras

50 g de foies de volaille

50 g de lard de Colonnata

1 foie gras surgelé déveiné de 450 g

400 g de viande de chevreuil 

1 morceau de boudin noir aux oignons de grande qualité de la longueur du moule, 48 cm ici)

1 morceau de barde suffisamment long pour envelopper le boudin

1 grosse poignée de pistaches décortiquées de grande qualité

1 grosse poignée de noisettes décortiquées

30 g de sel, 4 g de poivre, un peu de farine

pour la marinade :

1 bouteille de vin rouge corsé (un bon Corbières par exemple)

7 cl de cognac

7 cl de porto

12 grains de poivre noir

5 clous de girofle

5 baies de genièvre

3 gousses d'ail écrasées au couteau

QS thym, laurier, sauge

pour la gelée : 

1 litre de fond de veau maison filtré (naturellement gélifié) ou 1 litre de fond de volaille dans lequel on dissout 11 feuilles de gélatine or

éventuellement un peu de porto ou de vin blanc pour parfumer.

Préparation : 

La veille de la cuisson mélanger la farine, le sel et l'eau, ajouter les oeufs, bien mélanger, puis ajouter le beurre progressivement jusqu'à obtention d'une pâte homogène. La filmer en rectangle et la laisser reposer au réfrigérateur. En réserver une toute petite partie à laquelle ajouter le charbon jusqu'à obtention d'une pâte bien noire. Laisser aussi reposer au réfrigérateur.

Préparer la marinade (alcools selon votre goût, vin rouge ou blanc, genièvre, girofle, thym, sauge, laurier, ail..) et déposer les viandes en morceaux dedans jusqu'au lendemain en réservant au frais. 

Rouler le boudin dans la barde et le congeler. 

Mettre à décongeler lentement le foie gras.

Le jour J égoutter les viandes, hacher au hachoir très grosse grille (ou au couteau très finement) la gorge, puis l'échine, puis les foies de volaille et le foie gras. Mélanger intimement en ajoutant un tout petit peu de farine pour lier. Ajouter le sel, le poivre. Mélanger à nouveau et réserver.

Retailler éventuellement le chevreuil en gros morceaux. 

Tailler le foie gras en bûchettes ou en tranches, selon le goût, l'idée étant de réaliser une couche régulière sur tout le pâté. Réserver sous film au frais.

Sortir la pâte du réfrigérateur, la laisser reprendre un peu de température pour pouvoir l'étaler.

Tailler un gabarit de la taille du moule ouvert à l'aide de papier sulfurisé, plus un gabarit de la taille du dessus du moule.

Etaler la pâte de façon régulière en grand rectangle et la découper en faisant dépasser le gabarit de 5 cm tout autour, sauf aux raccords des angles qui doivent être coupés net. Remettre au frais pour quelques minutes.

Rouler le reste de la pâte pour faire les cercles autour des cheminées.

Etaler la pâte noire en couche fine et faire des lapins, des cochons, des feuilles... à l'aide de petits emporte-pièce. Les déposer sur le papier sulfurisé, puis recouvrir avec la pâte. Rouler pour plaquer les motifs dans la pâte.

Déposer la pâte sur le moule, avec le sulfurisé, en visant juste. Remonter les parois en plaquant bien la pâte le long et fermer les glissières. Bien foncer la pâte le long des plaques, vérifier que les angles sont bien soudés. 

Etaler le reste de la pâte en rectangle de la taille du haut du moule en dépassant le gabarit de 5 cm partout.

Remettre le moule foncé (dont la pâte déborde) au frais ainsi que les motifs et le rectangle destiné à fermer le pâté pour une demi-heure.

Au bout de ce temps commencer le montage du pâté en étalant une couche de farce, des gros morceaux de gibier, quelques pistaches et noisettes, le foie gras, puis une nouvelle couche de farce. Déposer l'insert de boudin avec la barde, combler les côtés avec de la farce et des pistaches et noisettes et les derniers morceaux de gibier. Terminer par une couche de farce. Travailler régulièrement en évitant de laisser des trous. Donc tasser, mais sans excès non plus, de façon à pouvoir laisser un peu de place pour la gelée. 


Déposer la plaque de pâte restante sur l'ensemble du pâté en la soudant bien avec les bords. Couper les surplus à ras les bords du moule. A l'aide d'un petit couteau tailler des incisions en biais sur tout le pourtour de la pâte en prenant bien ensemble les deux couches de pâte superposées (on appelle ça chiqueter) ou procéder avec une pince à chiqueter. Cela évitera que le pâté s'ouvre à la cuisson. 

Déposer les derniers motifs de pâte noire de façon décorative sur le dessus, et pratiquer quatre trous répartis régulièrement au centre avec un petit emporte-pièce. Tailler des anneaux d'un centimètre de diamètre plus grand que les trous, et les appliquer autour. Dans les cheminées ainsi faites insérer des rouleaux de papier aluminium du même diamètre, qui vous permettront de couler la gelée sans déborder après cuisson. 

Battre le jaune d'oeuf avec un peu d'eau et l'étaler en couche fine au pinceau sur toute la surface apparente de pâte. Laisser sécher quelques minutes au frais. Recommencer l'opération trois fois. 

Cuisson :

Préchauffer le four à 210° en chaleur tournante.

Enfourner le pâté en croûte, en insérant une sonde au centre du pâté (éventuellement en la passant par une cheminée), à mi-hauteur de l'épaisseur totale du moule.

Au bout d'un quart d'heure baisser le four à 150°. 

Sortir le pâté lorsque la sonde atteint 50° à coeur (pour cette recette particulière, sur d'autres on pourra sortir à 55°). Trente minutes plus tard la température à coeur aura atteint 64° avec l'inertie.

Laisser tiédir un peu le pâté et commencer à couler la gelée, par petites quantités, dans chacune des cheminées. Dès qu'elle arrive au bord, arrêter, attendre que le niveau redescende, et couler à nouveau jusqu'à ce que le niveau ne bouge plus.

Laisser refroidir le pâté complètement, le recouvrir de papier alu (ne pas ôter les cheminées), et réserver au réfrigérateur jusqu'au lendemain matin. Le lendemain, réchauffer un peu la gelée restante et la couler à nouveau dans le pâté comme indiqué précédemment. Filmer le pâté et le garder au frais durant au moins deux jours supplémentaires avant de déguster. 

Dressage : 

A l'aide d'un couteau scie trancher délicatement l'entame du pâté et découvrez les couches superposées qui en font une oeuvre unique. 
Couper des tranches régulières. Servir à l'assiette avec une salade, des caprons, un oignon nouveau émincé finement à la mandoline... (les pâtés de gibier peuvent s'accompagner d'une réduction de fond de gibier montée au sang avec un trait de vinaigre de barolo, pour donner de la brillance).
NB : Ce pâté se conserve au frais, filmé, trois jours après la première découpe. Vous pouvez aussi le trancher, mettre les tranches sous vide et les congeler, pour une consommation ultérieure.
S'il vous reste de la pâte, ne la jetez pas, elle servira à faire un excellent fond de tarte salée ou de tourte.