Son altesse la sole meunière
C'est un des sommets de la grande cuisine française dont je vais vous révéler les secrets. Un pilier de la tradition, le graal de toute bonne brasserie, la spécialité qui justifiait à elle seule le service au guéridon dans le Grand restaurant tel qu'on le concevait autrefois, l'élégance à la française tout simplement.
C'est aussi, à titre personnel, des souvenirs qui se bousculent et des émotions toujours intactes. Un soir sur la banquette rouge des Vapeurs à Trouville, un déjeuner rue Royale chez Ladurée, la blancheur de la nappe éclairant l'argenterie, le ciel peint des plafonds, et fugace, à jamais emprisonné dans les miroirs patinés, le reflet de l'aïeule qui fit découvrir à la jeune adolescente que je fus le charme parisien du lieu et la délicatesse de cette assiette.
Pour autant, il n'y a rien de difficile ni de véritablement technique dans cette recette : simplement des produits de qualité et un peu de patience.
Le poisson tout d'abord, une sole portion. Au gré des saisons, elle reste très abordable, il faut profiter de l'occasion quand elle est vendue en lots (souvent de 3), car elle se congèle admirablement.
Vendue vidée chez le poissonnier, il suffit de la gratter si ce n'est déjà fait, de la rincer, et d'ôter la peau brune du dessus (surtout ne pas toucher à l'autre, en dessous). Pour cela, il faut gratter l'extrémité côté queue avec un petit couteau pointu en essayant de soulever un tout petit peu de peau. Glisser les doigts pour décoller de part et d'autre et tirer la peau jusqu'à la tête d'un coup sec en maintenant le poisson fermement de l'autre main. Voilà, votre sole est prête.
Avant d'égréner la recette, parlons accompagnement. La sole meunière se sert traditionnellement avec des pommes vapeur ou une purée maison. Je choisis systématiquement la purée, plus gourmande, dont vous trouverez la recette ici. Mais au fil des saisons une poêlée de champignons des bois peut s'inviter autour de l'assiette. Voire quelques coques et crevettes grises...
L'autre ingrédient, et non des moindres, de ce plat fabuleux, c'est le beurre. C'est dans la maîtrise de cette cuisson au beurre mousseux, dans son goût noisette ni trop ni trop peu doré, que réside le secret de la sole meunière. C'est pourquoi il faut un beurre de qualité, français à tout le moins, de préférence un beurre cru, sinon au moins un beurre d'appellation (Echiré, Surgères, Isigny...), ou bio.
La poêle enfin. Si elle semble jouer les seconds rôles, sa taille et sa qualité sont essentielles. Il faut que les soles tiennent dedans (au moins deux), et qu'elle saisisse le poisson sans le faire attacher ni le brûler. Voici l'occasion de vous reparler des poêles Mineral B De Buyer (marque française), qui permettent de saisir viandes et poissons à la perfection, à la condition d'avoir un feu gaz ou induction suffisamment puissant. Pour les paresseux qui rechignent à leur entretien (ne pas laisser stagner de liquide, sécher et huiler après lavage), la marque a développé une gamme anti adhésive, Choc Resto, qui fera très bien l'affaire.
Ça y est, vous êtes prêts à vous lancer ?
Ingrédients (pour 4 personnes) :
4 soles portions (fraîches ou décongelées)
160 g de beurre cru (ou d'appellation)
4 grosses pommes de terre à purée
10 cl de crème fleurette
le jus d'un citron
QS farine, huile neutre, sel, poivre, muscade, persil plat
Préparation :
Réaliser la purée selon la recette (cliquez ici pour le pas à pas). Garder au chaud (au bain-marie ou à feu très doux).
Retirer la peau brune des soles. Les éponger. Juste avant cuisson, les saupoudrer de farine dessus et dessous, tapoter pour retirer l'excédent.
Chauffer la poêle à feu moyen. Ajouter un filet d'huile neutre. Déposer les soles côté chair (le côté où elles ont été pelées), laisser cuire 3 minutes environ afin qu'elles colorent, les retourner, ajouter 80 g de beurre, qui va mousser, baisser à feu doux et continuer la cuisson en arrosant sans cesse le poisson de beurre, jusqu'à cuisson parfaite.
ET LÀ VOUS ALLEZ ME DIRE : QU'EST-CE QUE LA CUISSON PARFAITE ? Vous la sentirez au doigt, quand la chair du poisson commence à être souple. Autre indice, le beurre prend une couleur dorée et dégage une odeur de noisette. L'ensemble de la cuisson doit prendre environ 10 minutes, plus ou moins selon l'épaisseur des soles.
Arroser immédiatement de jus de citron.
Servir à l'assiette en parsemant de persil haché, accompagner de la purée.
NB : si la chair se détache mal de l'arête la cuisson n'est pas suffisante (et ça c'est très désagréable). En cas de surcuisson la chair va devenir cotonneuse. Si la cuisson est parfaite la chair se détache, reste ferme et brillante tout en fondant en bouche.