Purée, vous avez dit purée ?

La purée de pommes de terre est un monument de la cuisine française. De ces plats dits de garniture qui, bien exécutés, volent la vedette dans l'assiette. Dans lequel la cuillère plonge et replonge avec gourmandise dans un ballet incessant qui réjouit les coeurs et les palais. 

Elle tomba un temps en disgrâce dans les années 70 à cause d'une doublure en carton, la purée en flocons déshydratés et ses fausses promesses publicitaires. C'est là tout le paradoxe de la malbouffe qui ne s'assume pas, la publicité au refrain entêtant en vantait la tradition. Sans le temps passé à la préparer, comme si la cuisine était définitivement une corvée dont la femme désormais active serait à tout jamais libérée.

Les années 80 et la cuisine moderne -comprenez minceur et santé, n'arrangèrent pas ses affaires. Il fallait expurger le gras, le beurre et la crème étaient enfer et damnation, vive la patate bouillie à l'eau. A la rigueur un filet d'huile d'olive -la France du Nord découvrait l'or vert, le chant des cigales et l'accent du midi. C'est à cette époque que naquit l'écrasé de pomme de terre, à la carte de tout troquet qui se respectait. Parfois on ne prenait même pas le temps d'éplucher le tubercule, l'authenticité passait par le rustique de la peau. Quelle aubaine pour le cuisinier de pacotille, le restaurateur pressé de gagner de l'argent, tandis que le tout Paris s'extasiait devant la plâtrée malaxée à la truelle au fond de son auge, louant l'abondance de ciboulette !

La mode tuant la mode, la purée fit son retour sur la pointe des pieds : il fallait être prudent, compter les calories, alléger la texture. On la servit donc avec parcimonie, au coin de l'assiette. Au passage la téléréalité culinaire nous apprit à former la quenelle ridicule, avalée en une bouchée, mais tellement, tellement, tellement chic. On tamisait à tout va pour fondre la texture, sans doute dans le but non avoué de préparer nos papilles à la maison de retraite. 

STOOOP !!! On arrête les plaisanteries et on revient aux fondamentaux. 

1) Les pommes de terre

Pour réussir sa purée il faut des pommes de terre à chair plutôt farineuse, de type bintje, vitelotte si on veut apporter de la couleur, mais certaines variétés à chair ferme et au goût de noisette conviennent aussi. C'est le cas de la ratte, de la délicatesse ou de l'amandine. Oubliez impérativement les pommes de terre nouvelles, dites primeurs, à la chair trop collante et qui méritent d'autres préparations.

2) Le moulin à légumes

Il est incontournable à la réussite de la purée. C'est à mon sens l'un des ustensiles (peu coûteux au demeurant, et l'un des derniers encore fabriqués en France) indispensables à la cuisine. On peut le remplacer par un presse-purée, mais le résultat ne sera jamais aussi homogène. Selon vos préférences, vous utiliserez une grille plus ou moins fine. 

3) Le tamis

C'est une option. Il peut remplacer le moulin, ou le compléter pour obtenir une texture encore plus fine et soyeuse. C'est l'ustensile de la purée de Joël Robuchon (cette purée montée avec une très grande quantité de beurre qui fit sa réputation). Personnellement je le réserve aux purées d'autres légumes, plus fibreux, tels que le navet, l'oignon, le panais ou le topinambour. Il est un peu cher à l'achat et fragile, n'appuyez pas trop sur les mailles au risque de le voir exploser.

4) Dernier de cordée

Vous avez tous un jour ou l'autre goûté une purée collante à souhait, élastique. On dit qu'elle a cordé. Ce phénomène se produit dans plusieurs cas : soit vous avez cuit vos pommes de terre et les avez laissées refroidir avant de les mouliner, soit vous avez ajouté du lait (ou de la crème, au choix) froide, soit vous avez travaillé votre purée au mixer au lieu du moulin. L'amidon de la pomme de terre va alors se libérer en grande quantité et coller la pulpe, rendant la préparation élastique. Quoi qu'on en dise, il est très difficile de rattraper une purée cordée, et vous n'obtiendrez jamais la texture inimitable espérée au départ.

5) Au beurre et au fouet

La rapidité d'exécution est primordiale dans la réalisation de la purée. Sitôt les pommes de terre moulinées, il faut les monter au fouet avec un peu de lait entier ou de crème fleurette à 30% (cette dernière a ma préférence) bien chaude, à l'aide du fouet, jusqu'à ce qu'elles absorbent tout le liquide. Travailler par petites quantités, jusqu'à obtention d'une purée à la fois épaisse et onctueuse : la cuillère doit se tenir. Gare à l'excès de liquide, quand l'amidon aura atteint sa capacité maximale d'absorption, la texture de la purée se diluera pour une résultat proche du petit pot pour bébé.

Ajouter alors le beurre froid en parcelles. Ne surtout pas le faire fondre avant, sinon la purée sera huileuse. C'est justement ce contraste de température à cet instant précis (surtout pas avant) et son absorption lente qui font le secret de la bonne purée

6) Et l'huile d'olive ? 

On vous a dit purée ! Oubliez l'huile d'olive, on ne parle pas de salade de tomates, là.

7) Sel, poivre et muscade

On cuit les pommes de terre épluchées dans de l'eau salée durant environ 25 minutes (départ eau froide). Si le dosage est bon, pas besoin d'en rajouter. Sinon rectifier l'assaisonnement à la fin, mais le résultat ne sera pas tout à fait le même. 

Lorsqu'on ajoute le beurre on peut également rajouter un peu de poivre suivant le goût, mais surtout râper un peu de noix de muscade, qui donnera à la purée un goût inimitable.

8) D'autres légumes peut-être ?

On peut remplacer la pomme de terre par de la patate douce, mais c'est une affaire de goût. Personnellement je trouve ça trop "sucrailleux". 

D'autres tubercules conviennent bien à cette préparation : le topinambour, le panais, le cerfeuil ou le persil tubéreux... Il faut alors les tamiser car leur chair est plus fibreuse que celle de la pomme de terre. Je rajoute souvent d'ailleurs quelques pommes de terre pour équilibrer la texture.

La carotte en revanche se suffit à elle-même, et l'on peut jouer sur les couleurs. Voire rajouter un trait de jus d'orange, du gingembre...

Les courges d'hiver font aussi de belles purées (butternut, potimarron notamment), mais leur texture sera plus aqueuse que celle de la pomme de terre. 

Récapitulons. 

Ingrédients (pour 4 personnes) : 

600 g de pommes de terre à purée

10 cl de lait entier ou de crème fleurette à 30 %

80 à 100 g de beurre doux de qualité, si possible cru

QS sel, poivre, muscade

Préparation : 

Eplucher les pommes de terre, les cuire dans de l'eau salée (départ à froid) jusqu'à ce que la pointe du couteau entre sans effort dedans.

Egoutter, mouliner tout de suite, quand c'est bien chaud. 

Faire chauffer rapidement le lait ou la crème, incorporer au fouet. La texture doit être épaisse et onctueuse à la fois. 

Ajouter le beurre en parcelles petit à petit. Terminer avec un peu de poivre et la muscade râpée.

Dressage :

Moi je fais un petit volcan pour mettre du jus dedans 😜 !

Trêve de plaisanterie, pas de purée sans le jus de la viande ou le beurre noisette d'un poisson. Sinon c'est comme vous voulez, mais il y a une forme de volupté à déposer une grosse cuillérée de purée nonchalamment dans l'assiette.

Alors, on se la fait cette purée ?