La soupe aux poireaux
Servie quotidiennement par ma grand-mère tous les soirs du 1er janvier au 31 décembre, à part celui de Noël et, curieusement, du 14 juillet -allez savoir pourquoi, mais j'ai toujours conçu une tendresse particulière pour ce jour-là, émue aux larmes par le défilé militaire tout autant que par la perspective d'échapper à la corvée de potage.
C'était pour elle définitivement une soupe claire -eau chaude dans laquelle surnageaient de chétives rondelles de poireau et quelques morceaux de pommes de terre, cuits longuement dans une casserole en fer-blanc qui imprimait au breuvage un arrière-goût métallique persistant en bouche jusqu'au coucher. Le pire n'était jamais sûr, mais lorsqu'il en restait le liquide passait la nuit et la journée suivante sur un coin du fourneau éteint, patientant sagement jusqu'au lendemain pour distiller à nos palais contrits ses parfums martiaux jusqu'à l'écoeurement.
La punition était telle que j'en ai conçu des années durant un dégoût de la soupe en général. Et puis, et puis..., le temps a passé, faisant son oeuvre de deuil des pires comme des meilleures choses.
Comme le fer-blanc ma mémé s'en est allée il y a longtemps déjà et je crois que c'est bien ainsi car elle aurait regardé comme un ovni cette soupe qui est la mienne aujourd'hui, faite de ces mêmes poireaux parmentiers, mixés finement avec leur eau de cuisson et une pointe de crème, relevés de cumin et de quelques zestes d'orange, dans laquelle la cuillère plonge avec délice jusqu'à racler le fond de l'assiette, un peu marrie de n'en avoir pas plus.
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