La sole meunière
Sole meunière.
Ces deux mots me ramènent à chaque fois dans un temps que les moins de vingt ans... A ce Paris qui n'est plus, quand Ladurée n'était pas encore un concept marketing de macarons chics dans un joli paquet, mais une institution raffinée où l'on se pressait à déjeuner sous les lambris et les plafonds peints. Combien de reflets élégants reste-t-il au fond des grands miroirs -conversations feutrées murmurées en silence, à jamais figées dans le verre ? J'y ai cherché en vain, il y a quelques années, celui de l'adolescente que je fus, évanouie dans le tain piqué par le temps. Je n'ai pas retrouvé non plus l'ombre de ma grand-mère, dont la beauté fanée attirait encore les regards. Peut-être ai-je mal regardé...
Le maître d'hôtel, en revanche, était toujours là, serviteur empesé dans l'ébène impeccable d'un costume de laine anglaise.
Certains poissons étaient servis au guéridon -un savoir-faire qui ne pardonne ni la cuisson ni l'emprunt du couteau. Ce n'était pas le cas de la sole meunière qu'il se contentait d'arroser de beurre noisette d'un geste millimétré. Ô combien j'ai envié le pouvoir de cet heureux homme qui régnait en maître sur le ballet d'un service dont tout l'art était de se faire oublier !
Il s'est rappelé à moi ce soir, fantôme attentionné, penché sur mon épaule, scrutant le mouvement de ma main, tandis que je versais le liquide ambré sur les filets. Pour ça et pour le reste, Dieu que j'aime la sole meunière.
Quand mon fil Instagram s'invite sur le blog, pour le plaisir des images et des mots qui vont avec