Le cèpe en majesté



Malgré le grand manteau de laine l'humidité commençait à se faire sentir. Des heures à fourailler le tapis de feuilles, les doigts gourds serrés sur mon épée de bois mort. Guettant les chapeaux bruns. Les joues rosies par l'air froid du sous-bois. L'esprit tout entier tendu vers la quête, oubliant le temps qui courait. La même émotion à chaque fois, le coeur palpitant d'une joie pure venue du fond des âges à l'instant de saisir le graal. Veillant du coin de l'oeil qu'aucun autre ramasseur ne pénètre mon territoire sacré. Et peu à peu le panier s'était empli peu à peu. J'avais fait la difficile, laissant les vieux sujets à ceux qui passeraient après. De temps en temps je humais ma cueillette, l'eau me venait à la bouche de ce goût sucré de noisette. C'était la première fois d'une saison qui peinait à commencer. Bien sûr il avait fait quelques apparitions furtives à la fin du printemps et durant l'été,  mais voilà qu'il avait sorti le grand jeu. Le cèpe en majesté régnait de son règne éphémère et ma table s'impatientait. Il était temps de rentrer.

Vous l'avez compris, il est venu le temps du cèpe dit de Bordeaux, Boletus edulis, et l'occasion de vous faire découvrir comment le choisir et le préparer. 

Les choisir

Que vous les ramassiez lors de vos balades en forêt ou que vous les achetiez sur les marchés où ils abondent à cette époque, il faut être attentif pour éviter les déconvenues. Le pied doit être ferme et le chapeau à peine ouvert, de couleur crème en dessous. Fuyez les spécimens qui arborent des tubulures verdâtres, signe de vieillissement et promesse d'amertume. Si le doigt s'enfonce sous la pression à le tâter il est sans doute spongieux, ou rempli de galeries creusées par les vers qui l'adorent. En règle générale préférez les petits, dits bouchons, au pied renflé et au chapeau encore soudé. Tout jeunes, ils sont plus sucrés et donneront un meilleur résultat à la cuisson. 

Les nettoyer

Le cèpe, comme tous les champignons, est une éponge gorgée d'eau. Il faut donc absolument éviter de les rincer au robinet. Une petite brosse passée avec précaution permettra d'ôter les débris d'humus. S'il en reste encore, essuyez-les délicatement avec un linge légèrement humide. Puis séchez-les.

A l'aide d'un petit couteau économe épluchez la base, terreuse, jusqu'à révéler la partie bien blanche de la chair. Il arrive qu'à cet endroit la lame rencontre des parties très dures, parfois veinées d'orange. Il convient de les retirer. 

Les préparer

Comme tout champignon, il faut éviter de les préparer longtemps à l'avance, aussi bien crus que cuits, pour éviter dans un cas l'oxydation et dans l'autre qu'ils ne se ramollissent en crachant leur eau.

La cuisson à la poêle les met fantastiquement en valeur. Selon leur taille on les laissera entiers (pour les tout petits), on les fendra en deux ou en quatre, ou bien on les coupera en tranches épaisses dans la longueur. 

Dans une poêle bien chaude déposer un grand filet d'huile (olive, pépins de raisin, voire noisette, mais d'une seule variété) ou bien un beau morceau de beurre (c'est lui qui a ma préférence, mais c'est affaire de goût). Dès que l'huile est bien chaude ou que le beurre mousse, ajouter les morceaux de cèpes. Laissez leur surface dorer sans les remuer. Le secret d'une cuisson réussie est là. Il faut qu'ils soient bien saisis et si vous les remuez constamment ils vont rendre toute leur eau et vous obtiendrez une poêlée molle et spongieuse. 

Quand la première face est bien dorée, les retourner ou les faire sauter et attendre que l'autre côté dore également. A ce moment, et juste à ce moment, vous pouvez les remuer légèrement pour les faire suer. 

Ail, échalote, persil... ou pas ? Là encore c'est affaire de goût, et il y a quelques règles à respecter. Quoi que vous ajoutiez faites-le en fin de cuisson. En effet, l'ail deviendra amer et sec s'il cuit trop longtemps, et le persil noircira. Evitez aussi d'en mettre trop, sous peine que le goût de ces aromates puissants ne masque celui du cèpe.

Si vos cèpes sont trop abimés pour être présentés entiers ou en lamelles (ce qui arrive souvent car les rongeurs de la forêt en sont grands amateurs et ont sur nous un avantage indéniable : ils sont sur place), taillez-les en petits dés avant de les poêler. Même principe de cuisson, faites dorer la brunoise avant de la retourner. Attention, la cuisson est plus rapide que pour des gros morceaux, surveillez votre poêle pour que son contenu ne brûle pas.

Cette préparation a un autre intérêt. La démultiplication de la surface de cuisson exhale les arômes et diffuse le goût. Une fois cuite, vous pourrez également incorporer votre brunoise à une farce, à un tartare, l'insérer dans une ballotine, farcir des encornets... Cette base servira aussi à donner de la gourmandise à une sauce ou à un velouté.

La sauce, justement, est une façon de mettre en valeur les parures de cèpes inutilisées ou les restes en petite quantité. A partir d'une base de brunoise dorée, ajoutez un peu de vin blanc, une échalote suée et du fond de veau (si possible maison) en quantité proportionnée à votre volume de cèpes. Faire réduire à couvert à feu doux durant un quart d'heure. Ajouter de la crème fleurette et mixer dans un blender pour obtenir une préparation lisse. Réduire à nouveau et servir avec une viande, un poisson, une poêlée de légumes ou des oeufs.

Des cèpes un peu abimés feront aussi un excellent velouté. Le principe est le même qu'avec la sauce, mais il faut une certaine quantité de champignons et un beau volume de fond de veau. On peut aussi ajouter une pomme de terre épluchée pour donner du liant. Après vingt minutes de cuisson on ajoute la crème et on mixe au blender. A servir avec des croûtons aillés, une tranche de lard séché...

Les jeunes cèpes se dégustent également crus en carpaccio. Leur chair sucrée et parfumée est une merveille, seule ou pour accompagner des Saint-Jacques rôties, un tartare de boeuf, de veau ou de langoustines, un oeuf poché... Il faut utiliser des cèpes bien fermes au chapeau à peine ouvert. Les trancher en lamelles assez fines à l'aide d'une mandoline (utilisez un gant de protection pour éviter les coupures) ou d'un large couteau. Les assaisonner d'une vinaigrette faite d'un peu d'huile d'olive, de pépins de raisin, de noix ou de noisette, de quelques gouttes d'un bon vinaigre de cidre ou de jus d'agrumes, d'ail ou d'échalote ciselés, d'herbes. A servir avec des noisettes légèrement torréfiées et concassées pour donner du croquant.

Ces lamelles de cèpe cru peuvent même être servies en dessert, avec un sabayon au café. Cet accord étonnant et fabuleux ne manquera pas d'étonner vos convives. 

Je n'aborde pas ici la conservation à l'huile, en bocal, ou la déshydratation, toutes solutions permettant de faire durer toute l'année la saison du cèpe. A titre personnel je préfère les cèpes secs, qu'on peut facilement réhydrater pour faire une sauce ou incorporer dans une omelette ou un risotto. Les cèpes en bocal ont un côté gluant et mollasse que je trouve fort désagréable.

Le repas dominical a été l'occasion de décliner le cèpe sous toutes ses formes, avec un filet de boeuf sauce aux cèpes, des cèpes bouchons rôtis au sautoir et quelques lamelles en carpaccio, servis avec un croûton doré et frotté d'ail.

NB : le cèpe ne possède pas de lamelles, mais une série de petits tubes sous le chapeau, qui contiennent les spores et forment une couche semblable à de la mousse -il est donc facile à reconnaître. Plus il avance en âge et entre dans la phase de décomposition, plus cette mousse devient verte et amère. 

Evitez de ramasser les cèpes qui poussent au pied des pins, au goût caractéristique de résineux, sans danger, mais qui provoquent des désagréments gastriques. Choisissez ceux au chapeau d'un joli brun rouge. En cas de doute, apportez votre cueillette chez le pharmacien, qui saura les identifier.