Le Clémenceau à Bordeaux, le retour de la belle brasserie

Même s'il en existe encore quelques-unes, historiques, dans les grandes villes, la brasserie, la belle brasserie, celle des décors  peints et des miroirs voilés, aux nappes blanches immaculées et aux serveurs en tablier, empressés dans un brouhaha réconfortant -banquettes en moleskine rouge et prodigieux banc d'écailler- avait laissé la place, ringardisée par des restaurants bistronomiques férus  de naturalité tendance Ikea, de spaghettis gélifiés et d'assiettes de fleuristes d’où émergent trois petits pois sous l'œil attendri de foodistas autoproclamées  à qui l'on ne saurait que trop conseiller d’aller se faire cuire un œuf-ce qu'elles ne savent même et surtout pas faire.

Les couverts en argent avaient cessé de luire. Disparues les assiettes bien garnies à la cuisine bourgeoise de grande tradition, tête de veau, entrecôte maître d’hôtel, pied de cochon ou andouillette moutarde, sole meunière… et ruisselant en cascade le plateau de fruits de mer allongé sur son lit de glace.
Ne restait que le souvenir fané de mes années parisiennes -soirs d’après spectacle ou virées entre copines, discussions passionnées sur la dernière expo ou ce petit pull Benetton impossible à trouver, dans la fumée bleue et les rires, et plus tard flâneries en famille dans Paris où décembre scintillait de guirlandes, allumant les vitrines dans les yeux ébahis d'enfants emmitouflés de laine. 
Je rêvais de neiges d’antan et de Prince  d'Aquitaine à la tour abolie* devant des vitres sales, en haut de ce boulevard où la poussière et la ruine avaient lentement dévoré le lieu mythique abandonné il y a longtemps par son Régent** aux vicissitudes de la rentabilité. Mais de murmures  en rumeurs le temps a réveillé le Phénix bordelais. Et le Clémenceau rebaptisé a rouvert. 
Si sur la place en devenir rien n'a vraiment changé sous la grande verrière, où la terrasse a gagné en intimité, une importante restructuration a rendu à l’intérieur son lustre et ses lettres de noblesse. 
Granit gris au sol et sur le comptoir, luminaires d'architecte ponctuant l'espace où les glaces murales  rappellent l'esprit de la brasserie, cuisine ouverte qui découvre aux regards l'effervescence du service, vitrine où trônent les pâtisseries à emporter, cave à vin dans sa cage de verre et bien sûr, à l’entrée, un fabuleux banc d'écailler débordant d’huîtres, de coquillages, de langoustines et de homards bleus.

Le service efficace et attentionné rythme les allées et venues entre les tables, dans un ballet joyeux malgré les masques qui dissimulent les sourires.
Outre les plateaux de fruits de mer qui font la part belle aux huîtres de diverses régions (bassin d’Arcachon, mais aussi Marennes, Bretagne, Normandie…), une formule déjeuner à prix doux (17 à 22 €) est proposée le midi en semaine, à partir de produits de saison du marché.
La carte s’adapte à la diversité  des modes d'alimentation actuels tout en restant suffisammment courte pour présager de sa qualité.
Voilà pour les premières impressions, mais l'âme dans tout ça me direz-vous ? Ce je ne sais quoi qui fera le succès et l'ADN de l'endroit ? Elle est simple et discrète, loin de l'agitation des feux de la rampe, à l'image du chef, David Jourdan, bien connu des  Bordelais. Ce spécialiste du poisson, formé au Palais à Biarritz et dans les beaux établissements du Pays Basque, qui porte en lui l'esprit brasserie, parle produits avec le cœur et un immense  respect. 
Pas d'assiettes pompeuses, mais de la générosité, de la belle cuisson, des recettes simples qu'il réinterprète d'une pincée d'épice, une râpée de poutargue ou un grain de citron caviar, quand le mot régal prend tout son sens. Tartare de veau mâtiné d'huîtres, polenta crémeuse d'exception, pavé de thon rouge de Méditerranée mi-cuit, ou tartine canaille de grenier medocain et de foie gras poêlé… en guise de plats de réjouissance.

Les desserts ne sont pas en reste -fruits de saison, crèmes onctueuses, sorbets rafraîchissants. De grands classiques peu sucrés et parfaitement  équilibrés. 

La promesse est tenue. Les Bordelais ne s'y sont pas trompés qui prennent d’assaut les tables. Il me tarde que la vie revienne, la vie d'avant, pour m'attabler, tard dans la nuit en sortant du théâtre. Et crier : "Garçon, des huîtres et du champagne !"

*Allusion aux poèmes de François Villon et Gérard de Nerval qui évoquent la nostalgie du temps passé

** Le Régent était autrefois le nom de la brasserie, bien connue des Bordelais et qui eut ses heures de gloire

LE CLÉMENCEAU 
46 Place Gambetta
33000 Bordeaux
contact@leclemenceaubordeaux.fr
Ouvert 7 jours sur 7 du petit-déjeuner au dîner (et bientôt en après spectacle)
Plateaux de fruits de mer à emporter
Carte et formule déjeuner en semaine