La rascasse dans tous ses états, rillettes, soupe de poisson, rouille, caviar d'aubergines, condiment de citron de Menton
Il est des poissons d'exception, de ceux devant lesquels on s'incline, tant pour leur beauté bizarre que pour leur taille. Des poissons qu'on voit rarement sur les étals, surpris par les filets d'une pêche prodigieuse. Cette rascasse était de cette race-là, celle des seigneurs qui mérite le respect et la peine à se donner pour la sublimer. J'ai bataillé pour la préparer, et mes mains s'en souviennent, la belle ne se donne pas sans mal. J'ai mis du temps aussi, tant les idées qui se bousculaient ajoutaient de l'engagement au travail à fournir. Un dimanche tout entier, un long dimanche de fiançailles avec la bête, en tête à tête, elle et moi -ou plutôt tout entière, de la tête à la queue devrais-je dire, non pour sacrifier à la mode du zéro déchet, on utilise tout, même les épluchures (qui a l'impression d'inventer la poudre alors que nous savons tous depuis bien longtemps que tout est bon dans le cochon). Un dimanche de sueur et de labeur, de doutes aussi, à commencer par la réussite de la cuisson sans laquelle le reste ne vaut pas tripette. la mariée fut belle, un hommage au sud aussi, à ses saveurs, à Marseille la bleue qui m'attend sous le soleil.
J'aurais bien sûr pu me contenter d'une cuisson entière au four, à défaut de barbecue, et c'eût été parfait. La chair est généreuse, et pas seulement dans les filets. La belle a de la joue, c'est même peut-être la partie la plus gourmande, au moelleux incomparable. D'où l'idée d'en faire des rillettes, pochées dans une escabèche, puis parfumées au pastis, relevées d'une pointe de piment, tandis que je levais les filets.
Qui dit rascasse dit aussi bouillabaisse, et son jus parfumé. Les parures, tête et arêtes n'attendaient que cette occasion. Et d'un coup, dans l'air saturé de parfums, on aurait pu apercevoir la mer, depuis le fort Saint-Jean, et la bonne Mère au loin, depuis le haut du Panier...
Le sud c'est aussi les légumes -le petit violet et la sombre aubergine, la courgette éclatante. La promesse de caviar qui dore dans le four chaud, les longues minutes à tourner l'artichaut, pour n'avoir à la fin que quelques péquelets, mais si tendres et goûteux. L'arlequin d'une brunoise au goût de basilic, un filet d'huile d'olive.
Le citron suave et doux, dont la pulpe et le ziste, compotés dans le sucre, enjôlent le palais.
C'est enfin la somptueuse rouille, lentement montée dans le mortier de pierre, la puissance du safran, l'ardence du piment, l'ail frais écrasé au pilon -un feu d'artifice orangé à faire pâlir le feu du crépuscule.
Faites votre choix ou prenez tout, ensemble ou bien séparément.
Filets de rascasse basse température
Ingrédients :
2 gros filets de rascasse
QS huile d'olive, sel
Préparation :
Préchauffer le four à 100° en convection naturelle (pour ne pas dessécher le poisson).
Lever les filets délicatement en glissant la lame au plus près de l'arête. Les parer (en ôtant les bords, et la partie mince recouvrant les viscères), les désarêter.
Saupoudrer de gros sel un quart d'heure pour les raffermir. Rincer et sécher.
Faire chauffer l'huile d'olive dans une poêle. Saisir les filets côté peau durant quelques minutes, en laissant monter la chaleur dans la chair (le bas des filets doit devenir opaque).
Déposer les filets sur une plaque, peau en dessous, et les huiler. Placer une sonde et cuire à 45° à coeur (la chair doit être prise, opaque, les écailles se détacher facilement, mais rester souple au doigt). Si vous n'avez pas de sonde compter 25 minutes environ pour un gros filet.
Si vous devez servir un peu plus tard couper le four et recouvrir le poisson d'un papier aluminium.
Rillettes de joues de rascasse au pastis
Ingrédients :
Joues et chair de rascasse
1 oignon
1carotte
1/2 fenouil
3 gousses d'ail écrasées
30 cl de vin blanc sec
5 cl de vinaigre de cidre
une dizaine de brins de ciboulette ciselés finement
QS sel, poivre, piment d'Espelette, huile d'olive, crème fraîche entière, pastis
Préparation :
Récupérer la chair des joues de rascasse et les morceaux restants attachés à la tête après avoir levé les filets.
Eplucher et émincer l'oignon, éplucher la carotte et la couper en rondelle, émincer le fenouil après l'avoir lavé, écraser l'ail.
Faire suer tous les légumes dans une casserole à feu doux avec l'huile d'olive durant dix minutes. Ajouter ensuite le vin blanc et le vinaigre. Porter à ébullition. Déposer les morceaux de rascasse et baisser à feu doux. Laisser pocher durant un petit quart d'heure.
Quand la chair est bien cuite (elle doit se détacher facilement des cartilages), l'égoutter et la laisser refroidir.
Emietter le poisson à la fourchette, ajouter le piment d'Espelette, un trait de pastis, la ciboulette finement ciselée, et une grosse cuillère à soupe de crème fraîche entière. Bien mélanger, rajouter un trait d'huile d'olive. La consistance doit être ferme sans être trop pâteuse. Réserver au frais. Servir en quenelles avec le reste du poisson ou seul à l'apéritif, avec le condiment de citron.
Soupe de poissons
Ingrédients (pour un bon demi-litre) :
Arêtes, parures et tête de rascasse
2 belles tomates concassées ou à défaut du concentré de tomates
1 petit poireau
1 oignon
6 gousses d'ail
2 branches de fenouil
1 feuille de laurier
1 pointe de couteau de piment fort
QS huile d'olive, sel, poivre
Facultatif : 1 morceau d'écorce d'orange, un peu de safran
Préparation :
Laver et couper le poireau en tronçons, concasser les tomates, émincer l'oignon épluché et presser les gousses d'ail.
Faire suer les légumes dans un faitout ou une grande sauteuse avec un peu d'huile d'olive à feu doux durant un quart d'heure. Ajouter le laurier, le piment, éventuellement l'écorce d'orange, et les parures de poisson. Monter le feu pour laisser colorer un quart d'heure de plus. Au bout de ce temps ajouter un bon litre d'eau, porter à ébullition et laisser réduire durant une heure. Saler, poivrer.
Au bout de ce temps retirer le fenouil, les arêtes et parures, l'écorce d'orange, et filtrer. Récupérer le reste des légumes et les mixer finement puis les passer au chinois. Les rajouter au liquide, ajouter éventuellement le safran. Rectifier l'assaisonnement. Servir seule ou avec les poissons cuits par ailleurs et des pommes vapeur, ainsi que la rouille.
Rouille
Ingrédients :
3 belles gousses d'ail
15 filaments de safran
1/2 cuillère à café de paprika doux
1 grosse pointe de couteau de paprika fort (selon le goût)
1 jaune d'oeuf
1 cuillère à café de moutarde forte
1 trait de jus de citron
12 cl d'huile d'olive
12 cl d'huile neutre de type Isio
QS sel, poivre
Facultatif : un morceau de pomme de terre bouillie, un peu de bouillon de poisson
Préparation :
Dans un mortier en pierre réduire le safran en poudre. Réserver.
Déposer le jaune d'oeuf, la moutarde, le jus de citron, et un tout petit peu d'huile d'olive. Commencer à monter l'émulsion soit en tournant le pilon, soit au fouet. Le secret est de mettre l'huile peu à peu, par toutes petites quantités, en veillant à bien l'incorporer. N'en rajouter que lorsqu'elle est bien émulsionnée. Continuer à tourner ou à fouetter en ajoutant l'huile peu à peu, d'abord l'huile d'olive, puis l'huile neutre. C'est prêt lorsque le fouet ou le pilon tient tout seul dans l'émulsion. Ajouter alors le safran et les piments, saler, poivrer. Donner un ultime tour. Réserver au frais.
NB : les puristes n'utilisent que de l'huile d'olive (dans tous les cas il faut qu'elle soit de bonne qualité, oubliez les produits de supermarché, les pièges à touristes avec étiquette menteuse, folklore à l'appui, et privilégiez une huile de producteur, allez visiter les moulins).
Pour une rouille très ferme ajouter la pomme de terre écrasée au début de la préparation. Pour une rouille plus souple, mettez aussi un peu de bouillon (pas trop), qui apportera davantage de goût. Chacun fait comme il veut.
Servir avec des croûtons et la soupe de poissons, la bouillabaisse, un plat de poissons ou d'encornets, voire à l'apéritif avec des légumes croquants.
Caviar d'aubergines
Ingrédients :
1 grosse aubergine bien ferme
2 gousse d'ail
1 jus de citron
QS huile d'olive, sel, poivre
Facultatif : tahin, cumin, grains de grenade
Préparation :
Préchauffer le four à 200°
Ôter la partie verte de l'aubergine après l'avoir lavée et séchée. La couper en deux dans le sens de la longueur. Quadriller l'intérieur de chaque face avec un couteau sans percer la peau. Verser un filet d'huile d'olive, saler.
Déposer les demi-aubergines sur une plaque, peau dessous. Enfourner pour 45 à 60 minutes suivant l'épaisseur.
A la sortie du four prélever la pulpe de l'aubergine avec une cuillère. La mixer finement et déposer la purée obtenue dans une passoire au-dessus de l'évier pour qu'elle s'égoutte.
Au bout d'une bonne heure, remettre la pulpe dans le mixer ou le robot, ajouter du jus de citron (plus ou moins selon votre goût) et de l'huile d'olive, mixer à nouveau jusqu'à obtention d'une préparation crémeuse. Saler, poivrer. Réserver au frais jusqu'au service.
NB : Vous pouvez y ajouter du cumin, et même du tahin (qui épaissira l'ensemble), et le servir parsemé de grains de grenade. Vous pouvez aussi fumer ce caviar à la pipe Aladin quelques instants.
Condiment de citron de Menton
Ingrédients :
2 citrons de Menton, ou à défaut 2 cédrats (l'utilisation de citrons du commerce, même bio, très acides, au ziste très amer, ne donnera pas le même résultat)
Sucre en poudre
Préparation :
Oter le zeste des citrons et le réserver pour une autre utilisation.
Couper les citrons en rondelles en gardant le ziste (partie blanche) et en ôtant les pépins. Les déposer dans une casserole, saupoudrer de sucre, ajouter un fond d'eau (à hauteur) et laisser compoter à frémissement, d'abord à couvert, puis à découvert à la fin, jusqu'à obtenir une purée pas trop liquide, ni trop épaisse non plus. Je vous conseille de protéger la casserole découverte avec un couvercle anti-projections.
Mixer la purée obtenue pour la rendre lisse. Réserver au frais. Cette marmelade à peine sucrée et légèrement amère, très parfumée, accompagne magnifiquement les poissons, les rillettes de sardines, le thon, les volailles blanches et même le veau, et se garde plusieurs semaines au réfrigérateur dans un pot fermé.
Pour ma rascasse dans tous ses états, j'ai également tourné des petits artichauts violets (c'est-à-dire ôté les premières feuilles, coupé le reste jusqu'au foin, tourné la base avec un couteau bec d'oiseau, taillé la tige, ôté le foin avec une cuillère parisienne, puis plongé les légumes dans un bol d'eau citronnée pour éviter qu'ils ne noircissent) et je les ai cuits dans un fond de soupe de poissons détendu d'un peu d'eau, à découvert, jusqu'à ce qu'ils soient bien tendres.
J'ai taillé une courgette verte et une courgette jaune en brunoise. Je les ai fait dégorger dans une passoire avec un peu de sel. Puis je les ai assaisonnées d'huile d'olive, jus de citron et basilic haché.
J'ai enfin cuit quelques petites pommes de terre épluchées à l'eau bouillante.
Dressage :
Dans le fond d'une grande assiette un peu creuse verser de la soupe de poisson et disposer un filet de rascasse dessus. Disposer les légumes autour avec quelques points de rouille, de condiment de citron et de caviar d'aubergine à l'aide de poches à douille. Ajouter une quenelle de rillettes. Servir le reste de la soupe avec les pommes de terre et de la rouille.