Pigeon, maïs, l'esprit d'une mole
Cet oiseau-là a toujours fait mon paradis. J'aime sa chair sombre, à la saveur fine et pourtant puissante, qui ne souffre pas selon moi la surcuisson. Je prends un plaisir certain à lever les filets, désosser les cuisses, broyer la carcasse en réservant le foie et le cœur, laissant courir la lame réjouie du désosseur au long des os. Émue de découvrir un grain oublié, coincé dans la trachée -souvenir d'un temps lointain où je plumais et vidais faisans, palombes et perdrix dans une cuisine aux carreaux bleutés, emplissant l'air d'un nuage vaporeux de plumes beiges et grises. A l'occasion il faudra que j'en parle à mon cheval : un psy ne pourrait pas comprendre ces choses-là.
Fille perdue aux yeux des tristes sires vegan je me délecte à chaque fois de trouver de nouveaux accords, l'esprit en éveil, respectueux de la saison, mais vagabond toujours, repassant le contenu du placard à épices, divaguant sur le bac à légumes du réfrigérateur. Je rêve de cerises dont le temps ne viendra peut-être pas cette année, entre le gel qui s'annonce et ce marteau minuscule qui ébranle toutes nos certitudes ; j'ai aux narines le frémissement d'une truffe noire dont la saison n'est plus. Mais là, juste là, ce grain de maïs, roulant doucement sur la planche tandis que je taillais d'un coup sec l'encolure, a tout emporté. Comme une évidence, l'animal et ce qui le nourrit, d'abord. Et très vite je me suis évadée, tirant l'aile vers les origines, vers ce Mexique d'avant le Conquistador. Où naquit le cacahuatl, ce cacao qui ensorcela le monde. Le piment aussi. Les descendants des Aztèques en ont fait une sauce voluptueuse, la mole, y ajoutant du sésame, des cacahuètes, des tomates et de la tortilla frite...
Et soudain ce fut là, la pâte de sésame noir, le cacao, le piment d'Espelette, le jus de pigeon qui infusait doucement. Le maïs échappé d'une boîte de confinement. Un air de marimba, l'ombre sombre d'un sombrero alangui sur le front de Pancho Villa. Pigeon vole !
Ingrédients (pour 4 personnes) :
2 pigeons fermiers
1 boîte de maïs en conserve, de préférence bio
1 sachet de grains de maïs pour pop-corn
1 échalote
1 bouquet garni
1 pot de piment d'Espelette
1 pot de pâte de sésame noir (en épicerie bio)
1 boîte de cacao
QS huile de sésame, sel, poivre, huile d'olive, beurre, crème fleurette
Préparation :
Lever les filets de pigeon en gardant la cuisse attachée. Désosser le gros os des cuisses.
Réserver les foies, les cœurs, jeter les poumons, et détailler la carcasse en gros morceaux pour préparer un fond.
Dans une cocotte faire revenir les parures de pigeon et les os avec un peu d'huile. Quand les sucs commencent à attacher ajouter l'échalote émincée, la faire suer, mouiller à hauteur, ajouter le bouquet garni et porter à frémissement. Laisser réduire jusqu'à obtenir un fond (90 minutes environ). Filtrer, réduire encore un peu.
Dans une casserole munie d'un couvercle transparent verser un peu d'huile de sésame et faire chauffer. Ajouter les grains de maïs, couvrir, laisser éclater le pop-corn. Arrêter le feu quand tous les grains ont éclaté, saler et réserver.
Mixer finement les grains de maïs en boîte et leur jus, ajouter une belle pointe de piment d'Espelette, un trait de crème liquide, saler, et porter à ébullition. Réduire jusqu'à obtenir une consistance suffisamment épaisse.
Préchauffer le four à 180°.
Chauffer le beurre dans une poêle et saisir les filets de pigeon côté peau jusqu'à ce qu'elle soit bien dorée. Colorer rapidement les foies et les cœurs. Les réserver.
Finir la cuisson des pigeons, peau sur le dessus, dans le four quelques minutes suivant le goût (de 3 à 10 minutes environ, suivant qu'on les aime bleus ou à peine saignants).
Pendant ce temps monter le fond de pigeon avec deux grosses cuillères à soupe de pâte de sésame noir, une cuillère de cacao et deux pointes de piment d'Espelette. Fouetter pour obtenir une belle onctuosité, saler pour rectifier l'assaisonnement.
Dressage :
Dans l'assiette déposer un filet de pigeon, un peu de purée de maïs, quelques pop-corns. Napper de sauce mole.