Géopolitique du riz, épisode 1 : le riz parfumé au shiso


Le riz est une écume posée au coin des lèvres quand le ventre est rempli. Né dans la nuit des temps, aux confins de l'Asie, de l'Inde jusqu'à l'Afrique, il a fini sa course au long des deltas inondés, de France, d'Espagne ou d'Italie. Et bien mieux qu'un livre, ses grains nourriciers aux multiples variétés, de formes et de couleurs, racontent l'histoire du monde. Dans chaque recette se dévoile une culture, évoquant les plis lourds d'un kimono, un boubou ondulant, un sari coloré. La soie d'un hanfu, la coiffe d'une Arlésienne. Un tablier noué sur une jupe virevoltante, une robe à madras...

Autant de riz, autant de goûts et de préparations. De traditions aussi. Que j'évoquerai ici ou là au fil de mes publications, parlant texture, cuisson, et gourmandise aussi.
En commençant par le riz long blanc dans sa plus simple expression aux tables de chez nous. L'éternel compagnon des filets de poisson aux tables des brasseries, flirtant avec la daube, épousant la blanquette. Ce riz-là, qu'on a longtemps acheté à l'aveugle dans les rayons de supermarché, s'assurant simplement qu'il soit écrit riz longs grains sur le paquet. Mais ça c'était avant. Avant qu'on ne nous vante les charmes du basmati, le parfum du thaï, aux promesses incollables.
Quelle importance au fond, si ce n'est une affaire de goût ? La principale qualité qu'on attend du susdit est en effet que ses grains se détachent, pétrifiés que nous sommes à l'idée de servir une louchée collante de grains agglutinés, accompagnés du classique, inefficace, mais toujours de mode : je l'ai laissé trop longtemps -sous-entendu "cuire", terme qui sied on ne peut plus mal au traitement infligé à ces pauvres petites bêtes.

Voici donc l'occasion de partager quelques petites astuces afin de réussir à tous les coups le riz long blanc, qui sera la base de bien des préparations.
Premier principe, la qualité du riz. C'est un peu la base, les fondations de la maison. On ne bâtit pas sur du sable. Eh bien en cuisine c'est pareil, si le produit de départ est mauvais, le résultat le sera aussi. L'idéal est de découvrir des petites productions en épicerie fine, asiatique ou non, mais pas de panique, on peut trouver des choses correctes en supermarché, notamment dans les rayons produits du monde, mais pas que. Évitez absolument les premiers prix, les marques distributeur et les tracteurs de l'industrie agro-alimentaire qui vendent du rêve à la télé et du marketing sur l'emballage. Et dites-vous que la qualité a forcément un prix.
Deuxième principe, le riz est une céréale qui contient de l'amidon. Beaucoup d'amidon. A l'intérieur, mais aussi en surface. Si vous voulez que votre riz ne colle pas, il va donc falloir soigneusement le laver, dans plusieurs eaux, jusqu'à ce qu'elle soit parfaitement claire.
Passons maintenant à la cuisson. Elle peut être de plusieurs types, et j'aurai l'occasion une prochaine fois de vous parler du riz pilaf, mais je voudrais me limiter d'abord à une recette toute simple, sans matière grasse ni bouillon, qui permet d'obtenir le goût pur du riz que vous aurez choisi, et que vous ne pouvez pas rater.
Et là, troisième principe, utiliser de l'eau minérale. En effet, le riz va absorber très rapidement l'eau de cuisson. Si elle sent le chlore elle va dénaturer son goût.
Quatrième principe, ne pas ajouter de matière grasse dans l'idée saugrenue qu'elle éviterait aux grains de s'agréger. C'est une idée reçue idiote. Le seul intérêt est d'éviter que la casserole déborde. En effet, l'amidon forme une pellicule à la surface de l'eau, qui empêche la vapeur de s'échapper. L'huile va éviter à l'amidon de former cette pellicule, et donc l'eau de déborder. Mais... la question ne se pose pas dans la cuisson du riz telle que je vous l'explique ci-dessous.

Ingrédients : 
une poignée par personne de riz long, basmati, thaï, italien, de Camargue...
QS eau minérale

Préparation : 
Laver soigneusement le riz dans plusieurs eaux en le faisant tremper jusqu'à ce qu'elle soit claire.
Le déposer dans le fond d'une casserole de taille adaptée. Le recouvrir d'eau. Le niveau de l'eau au-dessus du riz doit être de la taille d'une phalange. Plus précisément, on compte un volume de riz pour un volume et demi d'eau.
Porter à ébullition. Dès que l'eau bout, fermer la casserole avec un couvercle de la même taille, baisser le feu au minimum et laisser cuire 12 minutes sans jamais ouvrir le couvercle. Utiliser un couvercle en verre pour surveiller la cuisson. Le riz va absorber toute l'eau.
Au bout de ce temps, couper le feu, et laisser le riz dans la casserole 10 minutes de plus toujours sans ouvrir le couvercle. La vapeur contenue dans le récipient va permettre de finir la cuisson sans coller les grains qui vont se détacher sous la fourchette.

Voilà pour la base. Vous aurez choisi un riz plus ou moins parfumé, et cette cuisson permettra d'en restituer toutes les saveurs. Mais il en est une qui donne un goût unique et subtil au riz, une véritable invitation au voyage. C'est celle du shiso.


Quésaco me direz-vous ? Il s'agit d'une plante originaire du Japon, où elle est très utilisée, qu'on appelle communément pérille de Nankin ou basilic japonais. Il en existe deux variétés, la verte, très parfumée, et la rouge, essentiellement utilisée pour son pouvoir colorant, notamment dans la préparation des prunes umeboshi. De grandes feuilles dentelées et poilues comme un menton de grande-tante acariâtre, des arômes d'anis, de mélisse, presque de menthe, de cannelle, et une légère astringence au palais. Ciselé finement, le shiso sublime le riz et lui confère un goût exceptionnel. Tentez l'aventure !