Il était un foie
Il est la star de Noël, parce que son goût est unique, sa texture sans pareille, et peut-être aussi parce qu’il est le gardien de nos traditions, de cette cuisine de campagne, faite de produits authentiques cuisinés avec les gestes appris de nos anciens, une cuisine généreuse, un cadeau en ce temps de partage.
Alors pas question de le rater !
Après des années de pratique quasi empirique de la confection du foie gras en terrine, mes déboires avec deux terrines ratées à la suite m'ont permis de déterminer plus précisément -notamment grâce à tous les conseils qui m'ont été donnés- les règles de conduite à tenir pour obtenir un beau foie gras mi-cuit.
Le premier point, qui est aussi le plus important, réside dans la qualité du foie. Un beau foie de canard ne doit pas avoir été gavé trop vite, il doit être nourri au maïs en grains et non à la farine. Comment le savoir me direz-vous ? Se méfier des foies trop gros (un foie de canard doit peser 500g maximum, au-delà il va rendre du gras), et trop clairs.
N'acheter que de la qualité extra, si possible auprès d'un petit producteur de connaissance, sinon opter pour une maison prestigieuse (Lafitte ou Masse par exemple).
Ne pas tenter l'expérience grande distribution, même en région, qui n'offre aucune garantie d'origine, même si c'est marqué sur l'étiquette : un foie de canard des pays de l'Est devient miraculeusement français après son passage chez un éleveur français.
Mais la qualité et la provenance ne font pas tout : la date d'abattage est très importante également. Idéalement, il faudrait confectionner son foie juste après l'abattage. Plus le temps passe, plus le foie va fondre et rendre du gras. Il faudrait donc, dans la mesure du possible, éviter le foie sous vide, mais ce n'est pas toujours possible. En tout cas ledit foie ne doit pas être dur au toucher, s'il est très frais il gardera une certaine souplesse.
Autre astuce, le foie congelé de type Picard. Un foie de qualité surgelé dans les heures qui suivent l'abattage. C’est non seulement une excellente solution, mais à l’usage la meilleure pour ne pas se tromper.
Dans tous les cas, un bon foie se paie le prix, ne jamais l'oublier.
Nous voilà donc avec le Graal en main. Première étape le déveinage. Condition sine qua non à sa réussite, la température ambiante. Pour tirer les veines et vaisseaux jusqu'au bout il ne doit pas être dur. Travailler avec les doigts en s'aidant d'une petite cuillère ou de la pointe d'un économe au lieu d'un couteau, afin d'éviter justement sectionner les veines.
Sachez que le gros lobe est constitué d'un double réseau veineux, tandis que le petit lobe est parcouru d'un réseau en X.
Il y a un certain nombre de tutoriels vidéo sur le sujet. Regardez-les bien, ils vous aideront. Certains coupent le gros lobe en deux dans l'épaisseur pour s'aider.
Moins vous triturerez la chair du foie, moins il fondera. Travaillez lentement pour bien dégager les veines, ne jetez pas les morceaux qui cassent, ils iront dans la terrine.Plonger ensuite les lobes déveinés dans de l'eau salée contenant beaucoup de glaçons durant une demi-heure. Cela va permettre de raffermir les chairs et de retirer les traces de sang éventuelles.
Du sel et des épices… Au bout de ce temps éponger délicatement les morceaux de foie et les déposer sur une plaque pour les assaisonner.
Ne pas utiliser de sucre, ou vraiment très peu. Cela a tendance à faire sortir le sang et donc à créer du jus, même si c'est un excellent conservateur.
Proportions pour 500 g :
5 à 6 g de sel fin (pas de fleur de sel), 1g de poivre blanc. Voilà pour la base. Vous pouvez ajouter de la muscade, du quatre-épices, du piment d'Espelette... à raison de 1/2 à 1 g par 500g. Selon votre goût.
L'alcool maintenant. Il y a les pour et les contre. Perso je suis pour. En petite quantité, sinon le foie rendra du jus. Et toujours un alcool blanc pour ne pas griser les chairs à la cuisson. Sauternes, porto blanc, cognac, armagnac, vieux rhum (étonnant). Voire même whisky tourbé de type Islay.
Mélanger les épices avec le sel et saupoudrer les morceaux de foie le plus régulièrement possible (s'aider d'une saupoudreuse à sucre éventuellement). Asperger de quelques gouttes d'alcool, retourner et terminer d'assaisonner. Filmer en évitant l'air pour une dizaine d'heures.
Et la terrine ? Céramique ou porcelaine peu importe. Rectangulaire pour une cuisson uniforme
Mais surtout pas trop grande. Je dirais même un peu petite. Car plus le foie aura de place plus la graisse va chercher à se faire la belle. Il faut que le foie affleure quasiment le haut de la terrine. Compter donc 100 à 150 g de moins que le poids des foies.
Quand le temps de marinade est passé sortir la plaque, laisser le foie revenir un peu à température, remplir la terrine de façon régulière en glissant les morceaux détachés au milieu. Terminer avec un gros lobe sur le dessus. Bien appuyer pour éviter les vides d'air. Tailler un morceau de papier sulfurisé à la taille de la terrine et recouvrir le foie. Remettre au frais une heure minimum.
Nous y sommes, place à la cuisson ! Au bout de ce temps, préchauffer le four à 120°. S'aider d'un thermomètre de four pour être sûr. Verser de l'eau bouillante dans un récipient un peu plus grand que la terrine, à bords hauts, et stabiliser la température de l'eau à 73-75°. Déposer la terrine dedans, l'eau doit arriver aux trois-quarts. Enfourner avec une sonde à coeur. Baisser la température du four à 110° pour maintenir le bain-marie à 70°. Le foie est prêt quand vous avez atteint 45° à coeur. Certains s'arrêtent à 42, voire 40. D'autres poussent à 52, voire 54°.
A ce stade normalement le foie a rendu un peu de graisse, mais pas beaucoup. Le sortir du four, et de l'eau. Laisser refroidir jusqu'à pouvoir le manipuler et vider la graisse dans un récipient. Il peut y avoir un peu de sang avec.
Déposer une planchette sur le foie (on peut en fabriquer une avec un carton rigide recouvert de papier alu) et surmonter d'un poids (presse à foie gras ou brique de lait...). Laisser reposer toute une nuit. Le lendemain ôter le poids et la planche et faire fondre la graisse réservée, puis la couler sur le foie afin de le conserver ( ne pas mettre le sang éventuellement récupéré. Figer au froid. Filmer la terrine et poser le couvercle. Attendre trois jours avant de consommer, que le foie ait maturé.
Concernant la température du four, certains cuisent plus haut, donc moins longtemps, mais le risque de fonte et de surcuisson est plus important.
Mon dernier test était à 80°, avec un bain-marie à 70°. Résultat parfait, mais avec une durée de cuisson plus longue, et une cuisson à coeur à 42°.
D'autres cuisent les morceaux étalés sur une plaque, sous film adapté à la température, afin d'obtenir plus de régularité, et remplissent la terrine après.
Il existe d'autres méthodes : cuisson sous vide (68°, 20 minutes, au thermoplongeur, m'a-t-on conseillé). Micro-ondes, mais je n'en ai pas. Et même lave-vaisselle !
C’est le grand jour. Le foie est prêt à être dégusté. Pain de campagne, de mie ou brioche, chacun ses goûts pourvu que la qualité soit au rendez-vous. Alors on oublie les pains de mie sous plastique au supermarché : Harry’s n’est pas un ami qui vous veut du bien.
On peut le servir tel quel, ou accompagné d’un confit d’oignons ou d’’un chutney, fait maison c’est mieux (selon le principe d’une confiture, mais avec du vinaigre et du sel en plus). Là encore tout est permis, des pommes ou des poires avec un foie au calva, de l’ananas et des litchis pour un foie au rhum, des raisins…
Joyeux Noël, on se régale en restant raisonnable, sinon gare au foie...