Saint-Jacques, le luxe de la simplicité



Quoi de simple à préparer et encore plus à cuisiner qu une coquille Saint-Jacques ? Depuis qu'elle a fait son retour sur les étals de nos poissonneries, comme tous les ans au 1er octobre -date officielle de l'autorisation de pêche en France- sa blancheur nacrée, est la reine de nos dîners.
Faut dire qu'elle a le chic pour se faire apprécier, sous ses airs timides de bourgeoise trop sage. Elle a du chic tout court d'ailleurs, cette élégante des grandes tables comme des petites : une chair à la fois ferme et douce, presque soyeuse au palais, légèrement sucrée et très parfumée, facile à préparer et encore plus à cuisiner. Se prêtant à toutes les fantaisies, à toutes les improvisations. S'habillant d'un rien -un voile de beurre, un peu de sel…, crue ou légèrement cuite, saisie au vol d'une poêle qui chante, la Saint-Jacques est bonne fille. Une vraie Madelon dont je vais vous trousser le jupon.

Les choisir et les préparer : 


Règle absolue, la coquille Saint-Jacques, comme son nom l'indique, a une coquille. C'est donc avec qu'il faut l'acheter, pour plusieurs raisons. La fraîcheur d'abord. C'est un coquillage vivant qui ne se conserve pas longtemps après ouverture et sa chair va perdre très vite de sa fermeté, tout en s'altérant au goût. Les noix vendues seules ont donc déjà des heures de vol au compteur et perdu de leur superbe après un passage plus ou moins long dans des caisses de glace.
Quand elles n'ont pas été congelées. Et c'est là le deuxième point crucial. Une bonne Saint-Jacques est une Saint-Jacques fraîche. Même en prenant toutes les précautions (vide d'air, décongélation lente dans du lait…), il s'agit d'un muscle qui va se gorger d'eau… qu'il rendra ensuite à la cuisson. Le seul écart à cette règle pourrait concerner la préparation à cru, et encore…


L'autre intérêt de l'acheter avec sa coquille est que dans une Saint-Jacques (presque) tout se mange, et pas seulement la noix. Les barbes aussi. Vous savez, ce fameux voile bordé de cils (appelé manteau), ce tutu de danseuse souvent empli de sable que vous vous dépêchiez de jeter ! Rincé plusieurs fois, frotté au gros sel (en oubliant les branchies brunes), il se cuit comme des tripes, à l'échalote et au vin blanc, pour une gourmandise d'amateur éclairé.
Le sujet du corail, peu présent en début de saison, bien dodu ensuite, est plus délicat ; il a ses partisans et ses détracteurs. Cet appendice gélatineux ne fait pas vraiment le poids en face de la noix. Bien cuit il durcit et devient granuleux. Il faut l'oublier cru. Mais si vous avez le courage de retirer le boyau noir en son coeur et de le faire sécher lentement au four, vous obtiendrez après mixage une jolie poudre orangée qui agrémentera des oeufs au plat d'une touche de couleur et d'une note marine.
Si votre poissonnier n'a pas eu le temps de les préparer devant vous, pas de panique, l'exercice est très simple. Il suffit d'insérer  une lame de couteau suffisamment longue entres les deux valves de la coquille, en la faisant glisser le long de la partie plate afin d'en détacher la noix. Et clac, elle est ouverte.
Saisissez ensuite délicatement le voile et la partie noire en tirant. Tout va venir se détacher, ne laissant sur la valve creuse que la noix (muscle dit strié) et le petit muscle dur et lisse auquel elle est collée.
A l'aide d'une cuillère à soupe détachez délicatement la noix de la coquille en raclant le fond et ôtez le muscle dur et blanc du côté, qui va venir tout seul. Ça y est, vos Saint-Jacques sont prêtes, vous avez assuré comme un chef !

Comment les cuisiner :

Crues, émincées en carpaccio ou hachées en ceviche. On jouera alors sur le choix de l'huile (olive, noisette, pistache…), en privilégiant la qualité, sur les épices, les zestes et les jus d'agrumes, en ayant toujours la main légère pour ne pas masquer son goût. Ayez à l'esprit que c'est elle la star.
La meilleure façon de les cuire est de les saisir dans une poêle ou sur une plancha bien chaude, avec un peu d'huile, pour les faire dorer sur chaque face. C'est l'affaire de quelques secondes à chaque fois, elles doivent rester crues à coeur. Trop cuites elles vont devenir sèches et caoutchouteuses. Evitez le beurre, qui va noircir en cuisson. Par contre, préparez un beurre noisette à côté dans une petite casserole, dont vous verserez quelques gouttes au moment de servir. Une pointe de fleur de sel… le bonheur assuré !
Une variante consiste à les cuire au grill du four deux à trois minutes avec un peu de beurre, encore attachées à leur coquille.
Vous pouvez aussi choisir de les pocher, dans un bouillon ou une sauce crémeuse (voire de les gratiner). Là encore, il convient de les cuire à peine sous peine de vous retrouver avec un bout de pneu dans l'assiette (rappelez-vous les bouchées feuilletées de Tanti, débordant de béchamel farineuse et de fruits de mer tombés pour rien au champ d'honneur...).

Peut-être la meilleure recette au monde :


Les Bretons la connaissent bien, mais c'est Alain Passard qui en a fait parler il y a quelques années. Des Saint-Jacques et des feuilles de laurier. Il s'agissait de conserver la noix attachée à la partie plate de la coquille, de l'entourer d'une feuille de laurier sauce fraîche, coupée en deux et fixée par deux encoches, de poêler la face ouverte dans du beurre salé une dizaine de secondes, de retourner la Saint-Jacques côté coquille et de prolonger la cuisson de 10 secondes.
C'est juste magique, la légère pointe d'amertume du laurier, la douceur du beurre, le sucre de la noix !
Simplement, avec plusieurs convives à régaler et une cuisine de particulier vous allez très vite manquer d'ustensiles et vous retrouver à Londres un jour de brouillard. Alors j'ai adapté quelque peu la recette.

Deux heures avant la cuisson faites tiédir de l'huile d'olive dans une petite casserole (40 à 45°). Infuser dedans des feuilles de laurier que vous aurez froissées pour libérer le goût) durant un quart d'heure. Coupez le feu et laissez reposer.
Décoquillez complètement vos noix de Saint-Jacques et saisissez-les comme indiqué plus haut dans un peu de cette huile parfumée au laurier. Retournez-les quand elles sont dorées et saisissez l'autre côté, tout en couvrant le dessus des noix d'une demi-feuille de laurier. Servez aussitôt avec un peu de fleur de sel.