Léon de Lyon, le temps retrouvé
Lyon, pour le gastronome -qu'il s'ignore ou pas, est définitivement the place to be. Une Venise où l'on soupire d'aise devant l'essence de la cuisine -ce mot galvaudé, si mal assaisonné parfois, roulé dans la fange d'un poke bowl -dont la seule vertu, économique, est de faire du consommateur un producteur, voué à assembler lui-même les ingrédients insipides destinés à le sustenter, avec le même enthousiasme qu'il met à faire le plein de sa voiture, tentant maladroitement d'éviter projections et taches- ou bien éclaboussé de feuilles de perlimpinpin prostituées au fond d'une assiette triste dans une salle aseptisée, éclairée d'ampoules à filaments orange et de plantes vertes accrochées au mur dans un grand élan de tendance naturaliste.
La cuisine, la vraie, celle des mères et de Curnonsky, est lyonnaise par nature, elle a le Rhône et la Saône dans la peau. Par nature d'abord, parce qu'il y a à Lyon confluence de produits magnifiques, à faire pâlir d'envie n'importe quel chef, top ou pas.
Mais aussi et surtout parce qu'elle a gardé son âme. Pas celle des bouchons hélas, devenus à quelques exceptions près des attractions à touristes en mal de sensations culinaires, cherchant en ces lieux le même frisson qu'à Lascaux devant des plats venus d'un autre temps, avant que Marty et le Doc ne les sauvent de cette expédition en charcuteries aux noms exotiques improbables -de sabodets en tabliers de sapeur, sans parler d'un fromage blanc en guise de cervelle.
Passé outre le folklore, il est à Lyon des tables solides qui font honneur à cette gastronomie classée au patrimoine de l'UNESCO et qui méritent à elles seules qu'on fasse le voyage. L'une d'entre elles renaît de ses cendres. Longtemps réputée avec raison elle était devenue un de ces antres où s'échouaient les visiteurs pressés, séduits par un décor prestigieux et quelque peu suranné et la renommée de l'endroit.
Reprise il y a quelques mois par Laurent Gerra, enfant du pays et grand épicurien devant l'Eternel, Fabien Chalard et Julien Géliot, les "Gastronomistes", l'enseigne a été réaménagée en conservant l'esprit qui a toujours présidé à cette institution, déclinée en trois ambiances, la brasserie, le bistrot et le bar.
Le cadre est chic sans ostentation, la table du bistrot pensée intelligemment et le service des plus efficaces, mais c'est en cuisine, sous la houlette d'Olivier Bourrat, que tout se joue. Avec une carte qui rend hommage aux mères, célèbre les abats et la cochonaille, les spécialités lyonnaises passées à la postérité de la mémoire collective. C'est extrêmement bien fait, gourmand et généreux, sans chichi, mais avec beaucoup d'élégance. En un mot c'est bon -vous savez, cet instant de plaisir où l'on est heureux d'être là, loin de tout concept à la mode. Les portions sont justes, les produits de grande qualité, on se régale de l'entrée au dessert, et dieu sait que c'est important de finir comme on a commencé, mais la réussite de cette table tient surtout dans l'équilibre parfait entre la tradition, qu'on ne cherche jamais à détourner ou à revisiter avec le risque d'en perdre la substantifique moelle, et la légèreté inattendue de l'exécution.
Le pâté en croûte au ris de veau et foie gras, sans surprise, montre la maîtrise de l'exercice et la salade de pieds de veau façon Jean Vignard, le maître d'Alain Chapel et de Pierre Gagnaire, entre croquant et gélatineux donne envie de plonger la fourchette encore et encore.
Le poulet au vinaigre magnifie la volaille qu'on sent sélectionnée avec soin, et le pied de cochon, désossé et confit dans son jus au xérès tient du miracle : on y devine la vertu du mijotage lent au coin du feu, la rondeur de la sauce sans lourdeur aucune, loin de toute prétention, et la grâce propre aux grands plats.
Côté douceurs, la praline rose est déclinée en guimauve -une vraie bonne idée, en tuile, en financier et en crème glacée, sans jamais tomber dans le sucrailleux qu'on pourrait parfois lui reprocher. Les oeufs en neige, aux pralines roses eux aussi, noblesse oblige, sont parfaits sous leur spectaculaire cage de caramel.
La carte des vins est remplie de pépites, et même le traditionnel pot n'a pas à rougir de sa qualité.
Vous l'aurez compris, Léon de Lyon a remonté le temps avec bonheur, sous l'impulsion de ses nouveaux propriétaires, et inscrit de nouveau ce lieu mythique parmi les tables qui comptent en ville.
Léon de Lyon / Le petit Léon
1 Rue Pleney, 69001 LYON
Tel. : +33 4 72 10 11 12
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leondelyon.com/fr
Ouvert tous les jours midi et soir, réservation conseillée