Le goût de l'eau, le goût du pain, et celui du perlimpinpin…



Photo T. Delabre

Le goût de l'eau, le goût du pain, et celui du perlimpinpin… Le plus beau pain sera toujours celui de demain. Parole de boulanger -et quel boulanger* ! Quelques mots qui disent tout, le travail, la passion, l'ouvrage sans cesse remis sur le métier. La peur, la joie et les doutes. La chaleur du four et le silence de la nuit. Le pain qui chante et l'homme qui danse. 
Il faudrait apprendre aux enfants la boulange, comme on leur fait visiter les monuments de Paris. A quelques adultes aussi, qui vous expliquent d'un air docte et imbécile que le pain c'est mal, rempli de gluten -oh le vilain mot ! Revenir à l'essentiel, à l'origine du bien, au fruit de la terre qui nourrit l'homme depuis des millénaires sans que jusqu'à présent il s'en soit mal porté.
Quoi de plus merveilleux en effet que le pain ? Magie née de l'eau, du sel et du blé, transmutation miraculeuse aux arômes uniques -de ces odeurs qui ramènent à l'enfance et font saliver. Malheureusement, il y a quelques dizaines d'années, à l’ère de la révolution industrielle, au nom du profit, de la rentabilité, du bien-être de l'artisan et du meilleur prix pour tous, nous avons fait un purgatoire de ce pain sacro-saint, symbole de vie, corps du christ.
Parce qu'il fallait produire plus, plus gros, plus vite, on a joué aux apprentis sorciers. Bombardant les céréales d'engrais chimiques. Des tiges plus courtes, dans lesquelles la sève montant plus vite à l'épi. Oui, mais… le gluten aussi.

Photo JM Sattonnay

On a cultivé en monovariété des blés aptes à de longs pétrissages mécaniques -les petits bonheurs de l'industrie. Adieu jolis coquelicots qui parsemaient les champs plantés de blés de population, place au rendement. Oui mais… ces variétés aux sensibilités différentes se protégeaient entre elles. Peu importe, un bon pesticide et le tour est joué.
On voulait du moelleux, du gonflant ? Alors vive les additifs, qu'on a mélangés à la farine et emballés dans un joli paquet destiné à faciliter la vie du boulanger, lui offrant sa boulangerie sur un plateau pour mieux le contraindre à acheter ces “pré-mixes”. Oui, mais… on ne les avait pas prévenus de la tête qu'aurait leur pain. Ni du fait qu'on allait y rajouter une bonne dose supplémentaire de gluten.
Le levain, cette matière vivante issue de la fermentation de la farine, que l'artisan couve comme une mère poule, à qui bien souvent il donne un nom, qu'il nourrit tous les jours, nécessitait toute son attention. On allait le remplacer par la levure, fille facile qui s'élevait toute seule. Oui, mais… en oubliant totalement qu’un des rôles du levain était justement la transformation du gluten.
Boulanger c'est un dur métier. Travail de nuit, au four et au pétrin. Autolyse, pétrissage, pointage et division, le tout rythmé par les temps de repos de la pâte, emprisonnée dans son voile, qui prend son juste temps pour lever. Sans compter que chaque jour est différent, suivant qu'il fasse chaud ou froid, qu'il vente ou qu'il pleuve. Le pauvre bougre aussi a bien droit à la belle vie. On lui a donc inventé des chambres de pousse à chaud, pour aller plus vite. Oui, mais… on a zappé là encore cette étape indispensable à la transformation du gluten, ce temps du pain devenu gênant dans un monde où tout s'accélère. Et notre artisan y a perdu son âme en même temps que son savoir-faire.
Après des années d'errance où le pain industriel, blanc, morne et plat, était devenu la norme, se sont levés des hommes de bonne volonté.
Des hommes de la terre d'abord, qui ont repris le chemin du bon grain. Paysans meuniers** indépendants, petits poucets face aux grands minotiers, ils ont semé des variétés anciennes comme autant de cailloux sur la route du bon pain. Puis d'autres hommes ont remis la main à la pâte, chevaliers blancs d'un métier à la noblesse oubliée -si rare qu'il n'en existe aucun synonyme.
Certains ont fait la route seuls, apprenant sur le tas, grandissant de leurs erreurs et de leurs tâtonnements. D'autres ont appris de la transmission, faisant leur sel de l'expérience des anciens. Tous avaient la même envie et la même rage au coeur, le rêve en héritage d'un pain retrouvé, d'une mie crémeuse et alvéolée sous la croûte craquante et caramélisée. Les uns avancent dans la lumière, les autres cheminent sans bruit. Ils sont les boulangers d'excellence d'aujourd'hui et les faiseurs du pain de demain. Il faut leur dire MERCI. Merci de nous offrir cette chance de nous nourrir d'un produit d'exception, de rendre au pain son goût, ses qualités nutritionnelles et ses lettres de noblesse***.

*Thierry Delabre, le Panadero Clandestino, l'homme qui danse le moonwalk devant son four, le boulanger de beaucoup de belles tables parisiennes, dont on peut trouver les pains indécents à la Maison Lillo, chez Lastre sans apostrophe, O Divin, Terra Gourma et Papa Sapiens, ainsi qu’aux tables de l’Astrance, Antoine, Mensae, Table, Yoshinori, Roberta, Neso, Oka, Oxte, Sylvestre, Kaviari, Osteria Ferrara, Foodentropie, Roberta, Formaticus…

**Je pense notamment à Philippe Guichard, qui cultive avec amour des blés anciens et d'autres céréales

***Pêle-mêle quelques adresses qui raviront vos papilles :
Louis Lamour, 7 rue Ravez à Bordeaux
Pierre Ragot, Maison Saint-Honoré, 41 avenue du Prado à Marseille
Magali et Henrik Robino, 15 place du Canada  à Saint-Malo
Olivier Gaillard, Le Palais d'or, 25 avenue Eisenhower à Lyon
Les ambassadeurs du pain à Lyon aussi (https://www.ambassadeursdupain.com)
Alex Croquet 76, rue Esquermoise à Lille
Benoît Castel 72 rue Jean-Pierre Timbaud à Paris
David Granger, chez Des Gâteaux et du Pain, 63 boulevard Pasteur et 89 rue du Bac à Paris

Photo T. Delabre