Tombée de l'armoire


Il y a des jours où rien ne va. De déception en contrariété. Stupeur et tremblements. Des jours où la tempête dans le crâne fait écho à la folie du ciel. Où tout semble fatalité... précipité de gris emprisonnant l'air et le coeur, qu'aucune minute de ce jour sans fin ne peut dissoudre.
L'orage avait commencé son ascension la veille, déjà. Avec un drôle de goût sur les lèvres. Le pressentiment que tout irait mal, qu'on aurait pu croire né de l'agacement, de ma propre incapacité à peser sur les événements. Et puis il y eut le rêve. Depuis l'enfance il arrive que la nuit me soit prémonition. Un songe... me devrais-je inquiéter d'un songe* ? Celui-là m'attendait au petit matin. Tapi au pied du lit -vêtement de peine roulé en boule, prêt à retenir la terreur de la nuit, prise au filet de ses rayures grises.
Comme chaque fois les contours m'échappent, dans ce brouillard seules surnagent quelques images, des présences sans queue ni tête, et la certitude que quelque chose se produit.
Et puis je suis tombée de l'armoire.
Non, pas celle de l'histoire sortie la veille sous des plumes concomitantes. Pas l'armoire au bois de portes mal assorties, au linge jauni sur l'étagère, côtoyant des coupelles de verre coloré, souvenirs dérisoires d'enfances envolées. Abritant ce manteau au jour du long voyage.
Qu'on cherche à vendre avec un fond de honte. Faite pour une pièce qui n'existe plus. Dont on vous a dit qu'elle ne vaut rien, étourdie du vertige des pauvres choses accumulées, à la fin cartons, vieux chaussons ou boîtes à chaussures, témoins muets et figés dans l'effroi d'une vie qui s'oublie. A jamais associée au pneu crevé d'une voiture de fonction trop riche ou trop neuve pour le parking de ce groupe d'immeubles bombardé du pompeux nom de résidence au milieu d'une cité, à mille lieues de Rome. A cette débâcle permanente qui nous entraîne vers le fond. Inexorablement.
L’autre. La boîte à chagrins sur laquelle on est assis, en équilibre permanent. Celle des draps blancs répondant à d’autres draps trop rouges**. Les draps devraient toujours être blancs, n’est-ce pas ?
Je suis tombée par terre, encore étourdie de la nouvelle. Guillotine luisante dans le petit matin sale. Qui arrête les colombes en plein vol dit la chanson***… Les colombes je ne sais pas. La vie, oui. La vie jeune. Saccageant d’autres vies plus jeunes encore. Mais pas tout de suite, là est la cruauté de la faucheuse, qui retient son mouvement. Sentir le souffle de la lame, compter les heures à rebours de l’espoir. Pleurer de l’injustice, sachant au fond de soi qu’il n’est pas là affaire ni de bien ni de mal.
Et me relevant, contempler cette armoire comme on lit au miroir. Cette impuissance d’une vieillesse dont le dernier tourment sera, dans quelques jours, d’assister à la chute du fruit qu’elle a planté. Déjà blet malgré l’âge, pourrissant avant elle.
Je voudrais tant ne plus rêver...