A la soupe !
J'ai toujours détesté la soupe aux poireaux. Cette odeur aigre de sueur dégradée s'échappant d'aisselles harassées par la promiscuité moite d'une rame de métro après la nuit trop courte et l'ennui mécanique du labeur tarifé, qu'aucune promesse de déodorant ne pourra jamais tenir.
Cet effluve piquant aux narines, imprimant fugacement le dégoût au nez froncé, qui en rappelle un autre, venu du tréfonds de l'enfance, quand le brouet clair imprégnait la pièce de ses relents de fer-blanc.
Cet effluve piquant aux narines, imprimant fugacement le dégoût au nez froncé, qui en rappelle un autre, venu du tréfonds de l'enfance, quand le brouet clair imprégnait la pièce de ses relents de fer-blanc.
De ce potage quotidien, toujours le même du 1er janvier au 31 décembre j'ai gardé l'image chiche de quelques rondelles de poireaux tentant vainement d'échapper à la noyade, happées par le poids livide des pommes de terre qui les tiraient implacablement vers le fond de la casserole cabossée.
L'ensemble venait s'échouer au fond de mon assiette, et je déglutissais avec peine les morceaux de légumes achevés d'une mort lente par deux heures de cuisson, qui s'accrochaient au fond de ma gorge dans un ultime sursaut.
Le pire était qu'il en restait parfois -mauvais calcul ou générosité imprudente du robinet. Nous avions droit alors au breuvage réchauffé, traînant un arrière-goût de métal sur les papilles révoltées. Le tout au mépris des vertus détoxifiantes du liquide affichées par ma grand-mère, certaine en ce moment de répandre le bien comme Jésus la bonne parole.
J'en ai gardé longtemps un dégoût viscéral de la soupe sous quelque forme que ce soit. Mon pire cauchemar se révélant à l'occasion de voyages dans des pays où la coutume voulait qu'on servit du potage midi et soir. Je ressens encore l'angoisse qui m'étreignait dans ces restaurants hollandais devant le volume à ingurgiter.
J'ai même failli repeindre le plafond de gentils cousins de circonstance au Québec, devant la tablée hilare qui connaissait l'histoire et se réjouissait à me voir tenter de faire bonne figure devant nos hôtes. Le fou rire étant chez moi communicatif à l'extrême, je me retrouvai incapable d'engloutir cette première gorgée qui n'était hélas pas de bière.
Avec l'âge et la fréquentation de jolies tables m'est venu le goût de ces veloutés gourmands qui réchauffent l'âme et le corps. De cette difficulté j'ai fait un défi, puisant dans l'immense bibliothèque des saveurs, relevant le gant de l'imagination, afin de rendre aimable ce qui ne l'était pas. Épices, condiments, jeu de textures, je fais feu de tout bois pour inviter la soupe au repas.
Restaient ces fameux poireaux que j'évitais comme la peste, alors que je les cuisine avec bonheur par ailleurs. Et puis hier je me suis lancée. Il fallait bien un jour crever l'abcès, affronter le démon.
Que manquait-il à ces maudits légumes pour qu'ils trouvent grâce à ma bouche ? Un peu de chaleur, beaucoup de fraîcheur ? Curry et citron vert, l'eau et le feu. Un pari, même pas si fou, pour un velouté aussi addictif qu'étonnant. Celui de la réconciliation.
Ingrédients pour 2 personnes :
2 poireaux, 2 pommes de terre, 1 oignon jaune, 1 citron vert, QSP sel, curry, crème fleurette
2 poireaux, 2 pommes de terre, 1 oignon jaune, 1 citron vert, QSP sel, curry, crème fleurette
Eplucher et couper les pommes de terre, ôter une grande partie du vert des poireaux et laver le blanc restant, le couper en tronçons. Eplucher et émincer l'oignon. Couvrir d'eau dans une casserole, saler et porter à ébullition. Cuire jusqu'à ce que les pommes de terre soient tendres (environ 20 à 25 minutes). Mixer au blender les légumes égouttés avec un peu d'eau de cuisson jusqu'à obtenir une texture liquide veloutée. Ajouter le jus d'un demi-citron vert et une grosse pointe de curry. Mixer à nouveau. Terminer avec un trait de crème. Servir en râpant un peu de zeste de citron vert à la minute.