Soufiane Assarrar à l'Huîtrier Pie, le virtuose.


En cuisine c'est comme en amour, il y a les beaux parleurs, ceux qui se la jouent élégante, voire même dandy, parfois un brin tape-à-l'oeil, qui promettent beaucoup pour ne finalement rien donner que de la poudre aux yeux... bref, ceux qui trichent. Et puis il y a les vrais, les généreux, les passionnés, qui savent l'importance du temps, la précision des gestes, qui vous réchauffent le coeur et le palais. Soufiane Assarrar est de ceux-là.

Pas d'esbroufe chez ce jeune chef qui vient de reprendre avec sa compagne Camille Brouillard un bel établissement dans la rue de la Porte Bouqueyre à Saint-Emilion. Le regard est calme et bienveillant. De ceux qui s'éclairent à la flamme du piano, forgés à la patience d'une cuisine authentique. Avec derrière l'envie, de régaler, de bâtir leur histoire. De faire (re)découvrir le goût d'une viande ou d'un poisson, leur juste cuisson. 

Parce qu'enfin, la cuisine c'est avant tout l'art de préparer des aliments en vue de leur consommation, d'apprêter les mets nous dit le Littré. Ce qui implique presque forcément leur cuisson. D'ailleurs, dans les siècles passés, le cuisinier, au même titre que les poulaillers, queux, cuisiniers-oyers et saucissiers, faisait partie de la compagnie des rôtisseurs, ensemble de corporations liées à la préparation et à la cuisson des viandes. Brillat-Savarin lui-même ne disait-il pas qu'on devient cuisinier, mais qu'on naît rôtisseur ? Façon élégante de souligner l'importance du feu et de sa maîtrise -un art qui implique habileté et connaissances techniques.*

Et en la matière Soufiane est un virtuose. De ses années passées auprès de Jérôme Nutile au Castellas à Collias et au mas de Boudan à Nîmes, ou de Philippe Joannès, au Fairmont à Monaco, ainsi qu'au Louis XV ou à la Réserve de Baulieu, il a acquis la substantifique moelle, l'application, le goût du travail bien fait, une certaine idée de la tradition aussi, de la cuisine qui a fait la réputation de notre gastronomie et qui tient la maison comme autant de fondations. En témoigne ce superbe pâté en croûte servi lors de l'inauguration du restaurant. C'est merveilleux le pâté en croûte, et ça tombe bien parce qu'il signe depuis quelques mois son retour en grâce dans nos assiettes. Mais c'est merveilleux quand c'est bien fait, bien équilibré, quand la cuisson est parfaite, la gelée pas trop épaisse. On ne se lève pas un matin en se disant : tiens, et si j'en faisais un ! 

Cela aurait suffi à mon bonheur. Oui, mais voilà... sur ce buffet où se côtoyaient des produits purs, tels que nous les offre la mer ou le travail de l'artisan d'exception, un joyau scintillait. Et de ceux-là je n'en ai que rarement vu dans ma vie. Un cochon de lait farci de veau, de canard et de foie gras, cuit lentement 28 heures durant. Une merveille plus brillante qu'une laque chinoise. Une chair si fondante qu'on peut la déguster à la cuillère, qui se mêle à la découpe d'une farce pistachée dont les saveurs éclatent en bouche comme un feu d'artifice. Servie avec un jus, et quel jus ! Qui détient le secret des jus détient celui des goûts. Soufiane est de ceux-là. 

Bien sûr, je me dois de vous parler du foie gras, exceptionnel de qualité comme de cuisson -à ne plus vouloir en manger d'autre que lui-, des huîtres gratinées au sabayon, de l'oeuf parfait qui l'est vraiment (chose rare dans la profusion de propositions qui s'étalent lamentablement au fil de cartes bistronomiques sur lesquelles l'on ferait mieux de revenir à l'oeuf mollet). Des desserts, de facture classique, mais d'une belle maîtrise dans leur réalisation, et surtout point trop sucrés -comme je les aime.

D'évoquer aussi le lieu, bâtisse du XVIème siècle bourrée de charme, qui cache derrière ses façades bleu marine des voûtes de pierre éclairées par le reflet des bougies et des nappes blanches, de la cave aux belles propositions, du jardin d'été rempli de fraîcheur où l'on dîne au milieu des parterres d'herbes aromatiques et des grimpantes qui habillent les murs. Une maison où l'on se sent bien. 


Tout cela vous allez le découvrir en perdant vos pas dans un petit village de carte postale dont les trompettes vantent à juste titre la renommée depuis longtemps, parce que sur ce sol béni des Dieux un jour un homme eut l'idée de faire du vin. Mais je voudrais juste terminer sur ce qui est peut-être le plus important, le sourire de Camille et Soufiane, qui dit tout le bonheur qu'ils ont à être là, à cent lieues de l'accueil glacial et condescendant d'établissements dans lesquels on n'est rien si l'on n'est pas quelqu'un. Parce que la joie est communicative, parce que la vraie cuisine, la cuisinerie comme on disait jadis, distribue du bonheur, il faut vite aller faire un tour à l'Huîtrier Pie.


* Voilà une évidence que beaucoup ont perdue de vue aujourd'hui, à grands coups d'émissions de télé irréalité et de guides pneumatiques prônant des assiettes aussi indigentes qu'un appartement parisien meublé d'art contemporain. Où la rondelle de radis artistiquement disposée à côté d'un point de sauce chlorophyllée provoque la pâmoison de foodistas au régime qui écument les restaurants à la mode comme d'autres les défilés de la fashion week (dont les tenues et les mannequins n'ont d'ailleurs rien à leur envier). Où l'enoki solitaire, si tendance, si aérien, vole la vedette au vulgaire et rustique champignon de Paris. Où l'aliment, produit du terroir, disparaît parfois tout bonnement au profit de liquides bourrés de colorants et de texturants qui dessinent sur les assiettes la carte de l'industrie chimique.

L'Huîtrier Pie

11, rue de la Porte Bouqueyre
33330  Saint-Emilion
+ 33 (0)5 57 24 69 71
https://www.lhuitrier-pie.com