Home sweet omelette


L'omelette est avant tout pour moi un souvenir d'enfance. De dimanches soirs dans la cuisine, dans l'espoir vain de suspendre encore un peu le temps, déjà un peu au lundi qui viendrait, cartable en sentinelle guettant près de l'entrée, les joues encore rougies de la balade en forêt..., a vieille jatte ébréchée trônant sur la toile cirée, les oeufs cassés avec dextérité, un à un, battus lentement, auxquels s'ajouteront la cueillette du jour ou le fond du placard : champignons parfumés, lardons luisants, qui sait un bouquet de persil ou quelques brins de ciboulette, tandis que la salade attend sagement son tour.

De ce plat simple en apparence, ma grand-mère faisait un rituel de gourmandise, et j'observais avec délices la maîtrise du geste, l'instant de grâce qui consacrait l'instant précis où la cuisson serait parfaite.

Pour faire une bonne omelette

Les oeufs d'abord :
Ne pas dépasser huit oeufs par poêle afin d'avoir une cuisson uniforme, et adapter la taille de la poêle au nombre d'oeufs. 

Bien sûr utiliser des oeufs de qualité, même si leur prix est plus élevé, et être attentif à la date limite de consommation. Plus ils seront frais, meilleure sera l'omelette. Dans tous les cas, ne pas utiliser des oeufs de plus de deux semaines (vous réserverez ces derniers à la pâtisserie).

Au fait, vos oeufs, vous les rangez où ? Dans le réfrigérateur ? Erreur !!! L'oeuf est un organisme vivant, dont la température idéale de conservation est celle du couvage, c'est-à-dire entre 40 et 45 degrés (c'est d'ailleurs pour ça que les oeufs sont meilleurs en été). L'intérieur de votre placard est donc l'endroit idéal, au sec et à l'abri de la lumière. 
Dès l'instant où vous les mettez dans votre réfrigérateur vous allez les tuer (c'est d'ailleurs ça qui fait que souvent les gens disent ne pas digérer les oeufs). 
Par contre, une fois placés dans le réfrigérateur il faut les y laisser, sinon ils vont pourrir. 
Alors, me direz-vous, à quoi sert le compartiment de la contre-porte ? A stocker les oeufs DURS !

La poêle ensuite :
Une poêle de belle épaisseur, en fer, en fonte ou en inox, qui diffuse bien la chaleur. Aujourd'hui on trouve des poêles en fonte d'aluminium antiadhésives sans PFA qui sont très pratiques à utiliser.

La matière grasse :
Toute matière grasse, huile, graisse ou beurre peut être utilisée, mais j'ai une préférence pour le beurre, salé ou non, qui donne un goût exceptionnel à votre omelette. 

La garniture :
Elle est optionnelle, une omelette peut être servie telle quelle, accompagnée d'une belle salade. Mais elle est aussi l'occasion d'utiliser les produits de saison du marché ou de votre réfrigérateur. Des champignons cueillis la veille (des cèpes en saison), des truffes si vous avez la chance d'en avoir, une botte de ciboulette, des aillets, des lardons, des restes de poulet en petits morceaux, de la ratatouille, du fromage râpé, des pommes de terre sautées... L'omelette est un vaste terrain de jeu. Certains ingrédients se précuisent avant, d'autres non. Dans tous les cas les rajouter en fin de cuisson.

Préparation :

Battre les oeufs dans un saladier ou un cul-de-poule avec un petit filet d'eau, sel, poivre et muscade.
Faire chauffer le beurre à feu moyen dans la poêle jusqu'à ce qu'il prenne une odeur de noisette. Verser les oeufs battus dans la poêle et bien surveiller la cuisson. A l'aide d'une spatule ou de baguettes japonaises ramener vers le centre au fur et à mesure la partie de l'omelette cuite afin de répartir les zones liquides vers les bords. 
Ne jamais surcuire l'omelette. Elle est prête à l'instant précis où il reste encore un quart d'oeufs non cuits. A cet instant, rabattre l'omelette sur elle-même en deux (à l'anglo-saxonne) ou en trois, et servir aussitôt. Le temps de pliage et de service permettra de légèrement cuire le centre, tout en le gardant moelleux. 
NB : certains préfèrent l'omelette très baveuse, dans ce cas procéder à la dernière étape un peu plus tôt, quand il reste un tiers d'oeufs non cuits.

On peut ajouter quelques gouttes de colatura, de sauce poisson ou un trait de vinaigre de vin ou de cidre pour parfumer.

Le secret de l'omelette de la mère Poulard

C'est une omelette mythique, qu'une certaine Annette Poulard servait aux pèlerins du Mont Saint-Michel, et dont la réputation a traversé le temps, les frontières, et les querelles de famille, un certain nombre d'héritiers Poulards et consorts en revendiquant le savoir-faire.
On peut aujourd'hui encore la déguster dans les restaurants du site historique, où elle fait les délices des touristes pour peu qu'ils aient une bonne quarantaine d'euros à dépenser.
Mais qu'est-ce donc que cette omelette si particulière ? A l'aspect c'est une omelette mousseline ou soufflée, qui présente un grand volume d'air du fait du temps passé à battre les oeufs.

NB : il est fort probable qu'à l'origine l'omelette en question n'était pas soufflée (peut-être simplement un peu plus battue que la normale). Selon Curnonsky, la recette actuelle serait issue d'un livre de Balzac, la Rabouilleuse, qui parle d'une omelette soufflée légère et crémeuse. 

Peu importe. Notre brave mère Poulard avait le temps, la force du poignet, et surtout pas de tourniquette électrique. Heureusement, le progrès est passé par là sous la forme de robots pâtissiers de type Kitchenaid ou Magimix. 
Il suffit de déposer les oeufs, salés et poivrés, dans la cuve du batteur (sans rien d'autre, pas d'eau cette fois), et de laisser le robot faire le travail avec le fouet à grande vitesse. Au bout d'un certain temps (une bonne dizaine de minutes), les oeufs vont tripler de volume, ressemblant à des oeufs en neige, mais jaunes. 
Pendant ce temps faire chauffer la poêle à feu vifavec une belle quantité de beurre salé.
Verser la préparation battue dans la poêle, sans la remuer. Laisser saisir l'omelette en surveillant constamment la température : c'est-à-dire que de temps en temps il faut soulever la poêle de la source de chaleur afin de ne pas surcuire les oeufs. 
Quand elle se détache bien de la poêle et que le coeur commence à prendre tout en restant baveux, la faire glisser dans l'assiette tout en la pliant en deux sur elle-même. 

Tamagoyaki, la technique de l'omelette japonaise

L'omelette japonaise est une omelette particulière, assaisonnée de sauce soja et de mirin, présentée roulée et coupée en fines tranches, servie avec du riz blanc. Les Japonais la consomment le plus souvent au petit-déjeuner.
Les oeufs, mélangés au mirin et à la sauce soja, sont battus afin de mêler blanc et jaune, et enroulés en couches successives durant la cuisson à l'huile. Pour ce faire on utilise une poêle particulière, de forme rectangulaire, qui permet d'obtenir une forme très régulière. 
La poêle est bien huilée, chauffée à feu moyen (l'omelette ne doit pas colorer), et l'on verse une première couche d'omelette, on ramène vers le centre la préparation avec des baguettes japonaises jusqu'à obtenir une cuisson uniforme. On roule alors cette couche cuite vers un côté de la poêle, puis on verse une deuxième couche de préparation, en la faisant couler y compris sous la première couche cuite et roulée. Quand elle est cuite à son tour on la roule autour de la première... et ainsi de suite. 
La poêle est légèrement huilée à chaque tour, et à la fin, on presse le roulé le long d'un des bords de la poêle pour accentuer sa forme de rectangle et égoutter l'huile. Il est alors tranchés et servi tiède ou froid.

Tortilla ou frittata, quand l'omelette se cuit des deux côtés 

Le principe de ces omelettes, l'une espagnole, l'autre italienne, est de les cuire des deux côtés. Il s'agit d'omelettes garnies de légumes précuits (souvent des pommes de terre), qu'on va retourner une fois le premier côté doré, et cuire de l'autre côté, comme une crêpe. 
Elles sont servies froides et souvent tranchées, mais pas toujours. 

Dis-moi comment tu plies...

Le pliage de l'omelette est différent à travers le monde et révèle souvent l'origine de son cuisinier. 
L'omelette classique se plie traditionnellement en trois (en portefeuille, un bord rabattu au tiers, le deuxième bord par-dessus), voire en cinq (dit aussi en porte-manteau, le principe étant de rabattre les côtés du portefeuille pour une présentation parfaitement rectangulaire). 
Les anglo-saxons préfèrent présenter l'omelette rabattue en deux, sur elle-même. C'est aussi le cas de l'omelette mousseline ou soufflée, qui ne supporte pas trop de manipulation.
Les Asiatiques roulent les omelettes et les coupent en fines tranches. 
Les Espagnols et les Italiens, qui les garnissent en épaisseur, ne les roulent pas du tout. 
A chacun ses goûts !

Des hommes et des omelettes
 
A l'encontre de la plupart de nos préparations culinaires, qui trouvent leur origine dans l'Antiquité, du côté de Rome ou en Asie, il n'existe pas de mention d'omelette avant le Moyen-Âge (où les premières traces de nos omelettes se trouvent en Perse. Cette particularité est certainement liée à l'absence de poêles et récipients de cuisson en fer auparavant, la terre cuite étant majoritaire dans la confection des récipients de cuisson jusque là. L'usage de poêles se développe donc avec la métallurgie. 
Les premières omelettes étaient d'ailleurs souvent sucrées : on parlait alors de gâteaux d'oeufs et de miel.
Plus tard, l'histoire de l'omelette croisera souvent la route des rois, en France comme en Espagne, tant pour la création de recettes que pour leur confection, certains monarques s'y essayant pour distraire leurs convives, avec plus ou moins de bonheur.

Crédits photos Eve Tavernier, My Parisian Kitchen, Chocmiel, Nikankitchen, Ogre