7 heures et un gigot

C'est une recette qui se murmure, quelques mots prononcés avec la crainte et le respect qui sied à tant de mystère et de magie. Qu'on évoque les yeux brillants, avec la fierté de ceux qui savent alors que bien souvent l'on n'a jamais osé... Pensez, 7 heures de cuisson, pour une viande qu'on servirait à la cuillère ! Qu'est-ce donc là sinon de la sorcellerie de cuisinier ? Avec en creux la peur, bien inutile, de gâcher le plat, parce que 7 heures, tout de même !

Je vous rassure tout de suite. Derrière ce temps qui semble improbable se cache la vertu des cuissons lentes, dont je vous ai déjà parlé et que j'affectionne tant. Pas tout à fait ce qu'on nomme aujourd'hui la basse température, mais l'idée est là. Rien d'occulte ni d'ésotérique là-dedans, juste un peu de bon sens face à la réalité terre-à-terre d'une réaction physique, l'une des fameuses dites de Maillard. Et une bonne dose de paresse aussi, face à un plat qui cuit (presque) tout seul en cocotte dans un four à 100 degrés.

Et la magie de l'histoire est qu'à cette température constante, la chair de l'agneau confinée dans l'humidité de son jus de cuisson (ce qui fait 90 degrés environ à coeur dans la cocotte) va devenir fondante, onctueuse, se détacher de l'os, tout en restant rosée à l'intérieur (ce qui ne serait pas le cas en montant le four à 120 ou 130 degrés comme on le voit souvent conseillé).

A cuisson magique il fallait des ingrédients précieux. Si d'ordinaire on mitonne ce gigot avec de l'ail et du thym, j'ai ajouté à la marinade un mélange fabuleux préparé par la maison Shira, aux notes fumées et épicées, d'ordinaire destiné au chaï, cette boisson au lait chaud qui réchauffe le coeur de l'hiver. Gingembre, cardamome noire, cassia, poivre noir et clou de girofle épousent parfaitement les parfums de l'agneau et subliment la finesse de cette viande : 

un agneau de lait des Pyrénées, à la chair fine et légère, issu d'une petite production labellisée (Label Rouge et IGP) et non délocalisable. La viande d'un terroir et d'une belle tradition où l'expression "élevé sous la mère" prend tout son sens.

Ingrédients (pour 4 personnes) :

1 gigot d'agneau de lait des Pyrénées

2 têtes d'ail

3 cuillères à café de mélange chaï du Népal (épices Shira), ou à défaut un mélange maison d'épices contenant du gingembre, de la cardamome noire, du poivre, des clous de girofle, de la cassia (une canelle citronnée et poivrée)

1 litre de fond de veau (si possible maison)

50 cl de vin blanc sec

2 gros oignons jaunes

QS sel, poivre, huile d'olive, beurre doux

Préparation :

Parer le gigot : à l'aide d'un couteau à désosser ôter le gras sur les zones où il est un peu épais, et la peau en soulevant par un coin et en glissant les doigts pour la décoller. Raccourcir le manche du gigot, pas la peine de le désosser complètement, la viande se détachera toute seule après cuisson.

Porter une petite casserole d'eau à ébullition. Eplucher une tête d'ail, plonger les gousses dans l'eau frémissante, cuire une vingtaine de minutes. Egoutter, laisser tiédir, dégermer, écraser en pommade.

Mélanger avec les épices, sel, poivre, et un peu d'huile d'olive de façon à obtenir une pâte. 


Enduire le gigot sur toutes ses faces avec cette préparation. Filmer au contact, réserver une nuit au frais.

Le lendemain préchauffer le four à 100 degrés en chaleur tournante.

A l'aide d'une maryse ôter la pâte d'épices du gigot et la déposer dans le fond de veau.

Dans une cocotte en fonte de taille suffisante faire dorer le morceau de viande au beurre sur toutes ses faces. Le retirer. 

A la place faire suer les oignons émincés et la deuxième gousse d'ail coupée en deux sans l'éplucher, colorer légèrement puis déglacer au vin blanc. Déposer le gigot sur cette garniture, verser le fond de veau tiède avec la pâte d'épices, saler. 

Couvrir la cocotte et enfourner pour 7 heures sans jamais ouvrir le four ni toucher le couvercle.

Quand la cuisson est terminée sortir le gigot. Le réserver sur un plat de service allant au four.

Filtrer le jus de cuisson. Le porter à ébullition dans une casserole et le laisser réduire pour obtenir une sauce nappante et sirupeuse. 

Napper le gigot d'une partie de cette sauce et le remettre au four à 65 degrés jusqu'au service.

Dressage :

Servir le plat au centre de la table, accompagné de mojettes ou de légumes racines cuits au sautoir.

Proposer le reste du jus en saucière.

NB : les légumes peuvent être nappés d'une sauce au yaourt et à l'ail noir ainsi que d'un peu de coriandre.

Vous pouvez cuire le gigot la veille. Dans ce cas laisser la viande dans la cocotte avec le jus au frais. Une heure avant le service sortir le gigot, filtrer le jus, le réduire, napper la viande et enfourner à 80 degrés pour le réchauffer durant vingt minutes. Baisser le four à 65 degrés jusqu'au service.

Pour un gros gigot vous pouvez prolonger la cuisson d'une à deux heures toujours à 100 degrés. La cuillère est le juge de paix : sinla chair se détache seule en appuyant la cuillère c'est cuit. Si c'est un peu ferme encore il faut continuer la cuisson.