Toc Al Mar : le touriste est un animal comme les autres



Ce week-end je me la suis jouée touriste. Je vois déjà venir les commentaires moqueurs : « tu devais être mignonne en casquette, tongs, banane autour de la taille… » Ce serait mal me connaître, moi qui ne me balade jamais perchée à moins de 10 cm du sol, quelle que soit la déclivité du terrain.


Non, de la caricature du touriste je n’avais que l’appareil photo -mon Canon que je traîne avec moi sans précaution, comme un vieil ami avec qui l’on ne fait plus de manières.

Pour autant je ne faisais pas couleur locale. Je ne fais jamais couleur locale, même par chez moi, toujours apprêtée façon fashion week, pomponnée comme pour un bal des débutantes. C’est peut-être ça qui m’a trahie…
Toujours est-il qu’on m’a repérée. On a même dû me voir venir de loin quand j’ai posé mon précieux outil de travail sur un coin de la table en bois brut de l’établissement. Je faisais pourtant pâle figure à côté de cette catalane vêtue de lamé or de la tête aux pieds, tout droit sortie d’un film de Saura, dont le parfum entêtant et vulgaire, sans doute Giorgio de Berverly Hills, répandait un sillage écoeurant jusque dans nos assiettes, et qu’on a traitée comme une reine. La barrière de la langue a dû faire le reste, entre mon mauvais accent -un espagnol balbutiant de trente années sans pratique, et la vilaine propension de mon compagnon à s’accrocher à des bonjour/au revoir/merci franchouillards en diable.

Du coup, Toc Al Mar, dont le nom même était une promesse de sable, les pieds dans l’eau, au creux d’une calanque dérobée aux regards indiscrets, la belle adresse tant vantée où l’on sert abondance de poissons grillés et crustacés de pêche locale à la fraîcheur irréprochable -le produit, rien que le produit, a vite perdu le charme de sa situation, malgré l’ambiance joyeuse qui régnait dans la salle et la convivialité du lieu qui fleurait bon la cabane de pêcheur.

J’y ai mangé d’excellentes gambas de Palamós,

légèrement trop cuites et agrémentées d’une inutile ciboulette destinée sans doute à flatter mon instinct touristique, pendant maritime de l’indétrônable ombrelle en papier plantée en banderille sur les coupes glacées des terrasses de bord de mer. La gamba roja, cette spécialité de la côte ibérique, est une merveille au goût unique, à la fois fin et puissant, qui ne souffre pas de comparaison avec les crevettes raides et insipides, nourries de farine dans des élevages surpeuplés d’un bout à l’autre de la planète, histoire de satisfaire les appétits du pousse-caddie. C’est cette saveur que je retiendrai. Les moules grillées, savoureuses aussi, s’apparentaient plutôt à une simple marinière. Rien de moins là-dedans, rien de plus non plus. Le denti était ce qu’on pouvait attendre d’une cuisson à la braise, même si à titre personnel je l’aime un peu moins pris -mais là je pinaille, ce qui n’est pas mon habitude. Alors pourquoi me direz-vous ?


Eh bien parce que… Parce que le touriste est un animal comme les autres.

Un client comme les autres. Et qu’à ce titre il est roi. Il paie pour être servi, et pour le coup l’addition n’était pas mince. J’en viendrai donc au service, objet de mon courroux. Pressant, expéditif, à la limite de la politesse, sans aucun effort ni conseil. Les commandes apportées dans le désordre, voire oubliées. Les manquements à la carte, trop nombreux à mon goût -qu’il s’agisse des plats, des desserts ou du vin.

Le vin justement. Parlons en ! Personne ne semblait rien y connaître. Devant mon insistante question, après un premier choix raté puisque la référence n’était pas disponible, on m’a vite fait comprendre que tout se valait et que je devenais lourde. J’ai donc choisi au hasard, histoire de ne pas mobiliser davantage la serveuse qui n’en pouvait plus mais. En la matière j’ai parfois du nez, mais cette fois le hasard n’a pas bien fait les choses. Trop vert, trop acide -peu importe si c’est le bon terme, pour mon estomac ça le fut.

Je ne retournerai jamais à Toc Al Mar. S’il faut bien reconnaître qu’il s’agit d’une excellente adresse pour amateurs avertis de pêche locale et de grillades à la braise, je garde un aussi bon souvenir d’un dîner improvisé au restaurant de plage de Conti sur la côte landaise, ou d’une soirée mémorable dans la calanque de Figuerolles où la République indépendante du même nom est aussi attentive à la fraîcheur et à la provenance de ses poissons. Je n’y retournerai tout simplement pas parce qu’on m’a fait comprendre que je ne le méritai pas. Pas assez… ou trop… je ne sais pas.

En revanche, pour le vivre au quotidien dans ma fonction et dans ma ville, je sais ô combien il est difficile pour une économie de vivre du seul tourisme.

Car le touriste est infidèle, le monde est pour lui à portée de clic. Il va où il veut, toujours avide de sensations nouvelles, attentif à ce qu’on le traite avec tous les égards. Et s’il semble agaçant aux autochtones qui vivent sa présence comme une intrusion dans leur entre-soi, il est bien souvent indispensable à leur survie. Certains se sont félicités trop vite d’avoir fait fuir cet importun. Ils sont restés entre eux -gens de bonne compagnie. La manne qu’il représentait s’est enfuie aussi. Et dans certains de ces villages autrefois remplis de charme, aujourd’hui en ruine, on ne croise plus âme qui vive. Ceux qui étaient nés là ont dû partir aussi pour ne pas mourir, vouant aux gémonies celui qu’ils avaient chassé comme unique cause de leur malheur. Je connais quelques restaurateurs, ici ou ailleurs, qui gagneraient à se le tenir pour dit.


Restaurant Toc Al Mar
Restaurant de poissons et de crustacés

Plage d’Aiguablava

Begur, Espagne