Bouchée de reine

Bouchée à la reine, vol-au-vent... noms délectables qui disent si bien l'élégance de cette cuisine érigée en art, qui fit la fierté d'un royaume tout entier. C'est à la jalousie de Marie Leszczynska qui souhaitait regagner les faveurs de son roi de mari, tombé sous le charme de Mme de Pompadour et de ses puits d'amour, que la gastronomie française doit l'invention de cette charcuterie pâtissière faite de pâte feuilletée garnie d'un salpicon de volaille et de champignons nappé d'une sauce blanche onctueuse et parfumée. 
Perfectionnée au XIXème siècle par Antonin Carême elle figure en bonne place dans le guide culinaire d'Escoffier et se décline à l'envi aux légumes, foie gras, écrevisses, poisson ou fruits de mer.
Chez moi elle était incontournable des tables de fêtes. Avec sans doute, inconsciemment, l'idée que l'aura de cette reine rejaillirait en cascade sur le blanc immaculé de la nappe, éclaboussant de son prestige les invités et les couverts en argent sortis pour l'occasion du purgatoire du buffet.
Et ma grand-mère, toute italienne qu'elle fût, affectionnait particulièrement sa version normande, agrémentée de sole, de Saint-Jacques et de coquillages. 
Je revois encore la fière allure de ces feuilletages débordant de béchamel où l'on devinait la richesse de la garniture, cernés de toutes parts de guirlandes de roses fanées par les ans, venues mourir en grande pompe sur le marli de porcelaine blanche, tombées sous le pinceau de quelque obscur peintre en décors limougeaud.
Bien sûr les filets étaient un peu secs, trop cuits depuis trop longtemps, les moules et les coques avaient trépassé deux fois, mais la sauce à la parfaite exécution rattrapait l'ensemble, et les mains fébriles s'empressaient de craquer la croûte beurrée pour dévoiler le coeur de ces royales bouchées.
De cette nostalgie j'ai conservé le meilleur, faisant à la sole et aux coquillages un sort plus souple et plus enviable. Car tel est le secret qui fait de cette entrée un plat de roi, ou bien plutôt de reine !

Ingrédients (pour 4 personnes) :
4 bouchées feuilletées pur beurre (à faire soi-même ou à commander chez le pâtissier)
2 petites soles portions
4 coquilles Saint-Jacques 
1 grosse poignée de moules de bouchot
1 grosse poignée de coques
50 g de beurre 
25 g de farine
40 cl de lait entier
1 échalote 
QS sel, poivre, muscade

Préparation :
Peler les soles des deux côtés et lever les filets avec précaution. Les séparer en deux et les rouler sur eux-mêmes. 
Les disposer ainsi roulés sur une plaque, recouvrir de copeaux de beurre, saler, poivrer et enfourner à 90°. Laisser cuire jusqu'à ce que la chair devienne opaque à coeur tout en restant souple au toucher. Réserver sous un papier aluminium pour garder la chaleur.
Ouvrir les moules et les coques (après les avoir dégorgées pour ôter le sable) dans une casserole à feu vif. Dès qu'elles s'ouvrent les décoquiller et réserver.
Chauffer les bouchées au four à 160° durant une dizaine de minutes.
Faire chauffer le lait à feu doux avec les arêtes de sole et l'échalote hachée. Au bout d'un quart d'heure filtrer, saler, poivrer, râper un peu de muscade.
Faire fondre 25 g de beurre, ajouter la farine et bien mélanger sans colorer. Ajouter 25 cl de lait et mélanger jusqu'à épaississement. Hors du feu rallonger la béchamel en rajoutant peu à peu le lait restant pour obtenir une consistante fluide et nappante. Rectifier l'assaisonnement. Déposer les coques et les moules dans la sauce.
Saisir les coquilles Saint-Jacques à la poêle rapidement de chaque côté sans les colorer.

Dressage :
Déposer une coquille Saint-Jacques dans chaque bouchée, remplir de béchamel et de coquillages. Terminer avec deux rouleaux de sole. Servir sans attendre.