Ma brioche de Nanterre




C'est un souffle de beurre, un nuage de soleil. Un parfum doux qui envahit la maison, l'odeur chaude au cou de l'enfant qu'on berce. Un souvenir ému de petit-déjeuner dans cette chambre au lit étroit, du côté de Honfleur, un matin de printemps, dans une pension de famille où nous avions atterri par hasard. Un café en terrasse au Trocadéro où se pressait le tout Paris au mois de mai et ce départ en coup de tête. Il avait dit : "je t'emmène à Deauville". Ni question ni promesse, nous étions jeunes et insouciants. Quelques affaires jetées au fond d'un sac de toile verte et nous voilà partis. Sans imaginer une seconde que nous n'étions pas seuls.
 Après avoir erré longtemps dans la station bondée nous avons pris la route du petit port, fatigués et heureux malgré la perspective de dormir dans le véhicule, quand elle est apparue au détour de la route, un peu en contrebas. C'était une grande villa à colombages qui avait connu des jours meilleurs, mais dont la superbe n'avait pas complètement disparu, dressée fièrement dans le soir orangé. Nous avons poussé la porte et j'ai immédiatement pensé au Diable par la queue. Le même délabrement qu'on s'efforçait de dissimuler par quelques piètres artifices, le même panache pour conjurer le drame, cette élégance des gens bien nés qui s'accrochent aux fastes passés, faisant oublier les rideaux tristes et les plafonds écaillés. Ne restait qu'une mansarde, à lit single, c'était le paradis et nous avons dit oui, et nous avons souri. Il me semble avoir bien dîné, dans une grande salle aux nappes empesées. Mais je n'oublierai jamais le réveil. les yeux plissés de sommeil, ignorants encore du soleil qui nous guettait derrière le battant des volets, la lumière inondant les draps, le cuivre des barreaux, et tout au bout la mer immense et bleue. Quelques coups frappés à la porte, une jeune fille aux joues rouges, qui avait presque notre âge, sérieuse dans sa jupe noire et son chemisier blanc. Elle a déposé le plateau, murmuré un timide bonjour. Et là, au milieu des reflets d'argent, posée tout contre la théière, entre le sucre, le beurre et son couteau, émergeant du chatoiement, s'offrait une brioche.
Une mie beurrée, presque crémeuse, légère comme une mousse, tapissant le palais, à nulle autre pareille, se suffisant soi-même. J'ai perdu le goût de ce thé, de la confiture d'abricot, mais j'ai gardé aux lèvres celui du gâteau tiède.

La brioche, Chardin

Le secret de la brioche, parisienne ou de Nanterre -c'est affaire de forme et de taille*- c'est d'évidence le beurre. Bien sûr il faut prendre son temps, faire lever et rompre encore et encore, jouer du chaud et puis du froid. Mais sans le beurre point de salut. Ma recette est celle de Gaston Lenôtre, cachée dans un vieux livre usé aux bords, que j'achetai à l'époque de notre escapade et qui contient des trésors. J'y mets un peu plus de beurre encore, et je respecte les étapes, incontournables pour un résultat fabuleux. 

Ingrédients (pour une brioche de Nanterre dans un moule de 26 cm) :
330 g de farine de gruau (extra fine)
10 g de levure de boulanger
20 g de sucre
8 g de sel
1 cuillère à soupe de lait
4 œufs + 1 œuf pour la dorure
270 g de beurre cru


Préparation : 
Sortir le beurre une heure à l'avance.
Émietter la levure et la faire fondre dans une cuillerée d'eau tiède.
Dissoudre le sucre et le sel dans le lait (ne pas mettre en contact le sel et le sucre avec la levure)
Dans le bol du robot muni du crochet pétrisseur mettre le sel et le sucre délayés, puis la farine et enfin la levure. Pétrir à petite vitesse (1) jusqu'à ce que la pâte se décolle et ajouter trois œufs. Continuer à pétrir jusqu'à ce que la pâte soit homogène et se décolle à nouveau et ajouter l’œuf restant. Augmenter la vitesse de pétrissage à 4 et pétrir 15 minutes. 
Pendant ce temps aplatir le beurre devenu mou et le diviser en petits morceaux. L'incorporer morceau par morceau à vitesse 2. Continuer à pétrir jusqu'à ce que la pâte se décolle une troisième fois.
Déposer le pâton obtenu dans un bol et recouvrir d'un linge. Réserver à température ambiante, plutôt dans un endroit chaud, durant au moins une heure et demie, jusqu'à ce que la pâte ait bien gonflé. Cette opération peut prendre plus ou moins de temps suivant la température de la pièce et la force de la levure. 
Quand la pâte a bien gonflé la sortir du bol et l'étirer à la main en l'aplatissant pour chasser les gaz formés lors de la pousse. Remettre la pâte dans le bol, filmer au contact.
Deux à trois heures plus tard recommencer l'opération. Filmer à nouveau au contact et laisser reposer au froid toute la nuit.
Le lendemain matin, sortir la pâte du bol, l'aplatir et la diviser en huit, en formant des boules. Déposer ces boules dans un moule beurré, en deux rangs de quatre. 
Couvrir d'un linge et laisser pousser une dernière fois au moins deux heures à température ambiante. La brioche est prête à cuire quand les boules débordent bien du moule.
Badigeonner avec un œuf battu pour obtenir une jolie dorure. 
Préchauffer le four à 180°, en convection naturelle.
Enfourner pour 45 minutes.

*La brioche parisienne est constituée de deux boules l'une sur l'autre, une grande et une petite. La brioche de Nanterre, faite dans un moule, est constituée de huit boules disposées en deux rangs, qui se soudent à la pousse et à la cuisson.