Riz au lait de coco, compotée de mangue



C'est un plissé de soie aux reflets de perle nacrée, la peau pâle d'une Cléopâtre aux allures de madone, glissant dans le lait blanc d'un bain voluptueux, un dessert qui aurait dû bercer mon enfance, et pourtant... Seul mon père semblait l'aimer et ma grand-mère s'exécutait à regret, d'autant plus qu'il était le seul à en manger. Et de fait, je n'en garde pas un souvenir impérissable. Je crois savoir pourquoi : en fait elle n'aimait pas ça. Et pour le montrer elle utilisait le riz long qui faisait l'ordinaire des cantines de l'époque. Quelle autre explication à ce sabotage assumé quand elle magnifiait le risotto ?
Ce n'était pas simple, j'en conviens, et je n'ai jamais su comment elle faisait pour se procurer le riz en question -sans doute un troc avec une Italienne qui rentrait de temps en temps au pays, quelques paquets de carnaroli contre un corset...
La France de ces années-là découvrait les joies de la grande distribution et de la nourriture industrielle, mais les produits emblématiques d'autres régions du monde n'étaient pas faciles à trouver. Le riz était insipide et collant, accompagnement obligé de filets de poisson carrés avec les yeux dans les coins, Uncle Ben's était plus célèbre que Louis Armstrong et le basmati pas encore un gros mot : il n'était pas, tout simplement. La world food n'avait pas franchi les frontières, l'arborio était tout simplement inconnu au bataillon, et même le riz rond de Camargue n'arrivait pas jusqu'à la capitale. Pour qui avait connu la douceur crémeuse de ces grains-là, réaliser un riz au lait avec ce que proposaient les rayons indigents des supermarchés ou des supérettes de quartier en région parisienne était un crève-cœur.
Le goût de la chose m'est venu avec le temps, lentement, doucement, d'abord grâce à des vacances en Arles, où ne sont pas que les Alyscamps. Un dessert sensuel dégusté à l'ombre rouge des roses*, dans un petit bistro près des arènes, dont les pierres rongées d'éternité peinaient à soutenir l'insolence bleue du ciel. Et puis ce sud tant espéré, tant pleuré, je l'ai enfin eu. Un sud de garrigue et d'oliviers, de taureaux et de gardianes, de plages blanches et de rizières.
Les grains nacrés arrondis avaient déjà trouvé le chemin de ma cuisine, plutôt salés, mais je m'aventurais de temps en temps vers le sucre. Le tour de main refusé par l'aïeule me manquait cruellement, j'entendais même encore son soupir agacé au-dessus de la casserole quand elle laissait attacher le lait, histoire de montrer qui était Georgette !
Les recettes se succédaient au fil des magazines -Internet était encore un enfant aux pas balbutiants, et la cuisinière docile appliquait à la lettre des conseils qui lui paraissaient absurdes, comme autant de promesses d'inratabilité. Et puis un jour j'ai tout jeté aux orties, les revues et les diktats, les fiches machin et les lectrices du mois. Il était temps de rependre la main et je sentais bouillir mes origines latines. Que m'avaient donc appris mes nombreux risottos de ce riz capricieux ? Ce que le sel réussissait pourquoi le sucre me le refusait-il ?

Règle n°1 : on ne rince pas le riz. C'est l'amidon qui donne le crémeux à cette variété. C'est une vérité universelle !
Règle n°2 : pourquoi faire bouillir le riz dans l'eau avant de le mettre en cuisson ? Cette opération, censée faire éclater le noyau et favoriser la pénétration du lait, a tendance à durcir les grains. 
Règle n°3 : du liquide, encore du liquide, toujours du liquide ! Il faut beaucoup de lait et peu de riz pour avoir de la gourmandise. Un certain nombre d'essais m'ont permis d'affiner les proportions, 110g de riz pour 1 litre de lait, bien loin des 250 qu'on voit un peu partout. 
Règle n°4 : du lait cru, pour un goût exceptionnel.
Règle n°5 : patience et longueur de temps. Le risotto bloblote, le riz au lait aussi. En conséquence, il faut compter une quarantaine de minutes, pas moins, et une cuisson à peine à frémissement pour obtenir un fini soyeux et des grains encore présents, fondants sans être réduits à purée.
Règle n°6 : le sucre. Celle-là m'est venue par hasard, un jour que j'oubliai de sucrer. Le riz absorbe bien mieux le lait seul. Il convient donc de sucrer à la toute fin, quand c'est cuit. 

Riz au lait vanille, caramel, chocolat ou fruits divers, café, et même truffe ! Ce riz-là s'arrange de toutes les audaces. Mais il en est une qui me fait vraiment voyager. Le lait de coco. Une merveille de douceur qui donne à ce dessert des allures exotiques, rappelant les perles du Japon. Servi avec une compotée de mangue relevée d'un trait de citron vert pour la fraîcheur, il aurait ravi ma chère nanie.


Ingrédients (pour 4 personnes) :
110 g de riz rond à dessert, carnaroli ou arborio
1 litre de lait de coco qualité premium
75 g de sucre en poudre (ou plus selon le goût)
1 gousse de vanille

Compotée de mangues
2 mangues bien mûres
1 gousse de vanille
1/2 jus de citron vert
QS sucre

Préparation :
Faire chauffer le lait de coco avec la gousse de vanille fendue en deux et grattée. Dès l'ébullition verser le riz en pluie sans l'avoir rincé. Attendre la reprise de l'ébullition et baisser immédiatement le feu au minimum. Couvrir en glissant une cuillère de bois entre le couvercle et la casserole, afin de laisser passer un peu d'air. Tourner régulièrement pour bien enrober tous les grains. Laisser cuire doucement (cela doit bloboter) durant environ 40 minutes. Le liquide a alors épaissi, devenant onctueux et nacré. Il doit en rester un peu, qui finira de s'absorber pendant le refroidissement.
Ajouter alors le sucre, à ce moment et pas avant.
Couper le feu, transvaser dans des bols ou dans un grand récipient. Filmer au contact et laisser tiédir à température ambiante. Placer ensuite au réfrigérateur jusqu'au service.
Pendant la cuisson du riz éplucher les mangues, couper la chair en petits dés, saupoudrer de sucre (quantité selon le goût), ajouter la gousse de vanille fendue en deux et grattée. Faire compoter doucement et ajouter le jus de citron à la fin.

*Dans Arles où sont les Alyscamps, poème de Paul-Jean Toulet