Poêle de carotte...


Je n'ai pu résister au jeu de mots, même si ces carottes-là n'ont justement pas vu la poêle, pas plus d'ailleurs que le reste de la recette, dont l'intitulé exact devrait parler de joues de cochon braisées en daube au vin rouge et de carottes des sables laquées, à l'orange et au cumin. Seulement voilà, même si  j'avais dans l'idée de partager une recette de daube et de vous parler de ces merveilleux abats que sont les joues de cochon, c'est de carottes que saigne mon cœur, pas d'artichaut.
Et ces carottes-là, j'en bave sur mon écran depuis des semaines, que dis-je, des mois. Cette idée, jusqu'à l'obsession, d'une carotte inouïe qui cacherait en son cœur... la substantifique moelle de la carotte, un accord parfait. THE Carrot ! Celle de Jérôme Banctel bien sûr, paparazzée -au sens propre du terme- par la talentueuse Julie Limont.
Pour autant je n'avais d'autre indication qu'un visuel alléchant, et un intitulé avec quelques variations, parlant d'orange et de cumin ou d'autres fois de baies roses. Alors j'ai laissé l'idée venir, à tâtons, pour parvenir à un peu de technique, avec les moyens du bord -mes moyens d'autodidacte. Bien sûr la cuisson ne doit pas être celle-ci, bien sûr il y avait beaucoup plus simple pour creuser cette maudite racine, bien sûr l'émulsion n'est pas là, faute de temps et de jus, bien sûr je ne sais pas ce qu'il y avait dessus, chips ou pickle, mais toucher les pieds de la déesse c'est déjà entrevoir le paradis.
Et surtout, c'est un retour en grâce à ma table. Parce que pour être tout à fait honnête, entre la purée pour bébé et les carottes Vichy je n'avais jamais rien trouvé de transcendant à ce légume que je préfère cru. Il m'arrivait de cuisiner quelques petites carottes noires ou blanches glacées au milieu d'autres racines, mais ce n'était jamais le cœur du sujet, le centre de toutes les attentions.
Il y a pourtant matière à faire, la dame n'est pas une et indivisible. La primeur, juteuse et croquante, aux parfums suaves, fait le bonheur des salades et des navarins de printemps, la noire, la violette ou la blanche donnent aux assiettes une touche d'élégance. Et la carotte des sables, douce et sucrée, de beau volume régulier, la plus subtile en goût. C'est elle l'incontournable de cette recette.
Souvent associée à l'orange et au cumin, dans des recettes méditerranéennes, l'idée était de travailler chacune de ces saveurs sous différentes formes, pour sublimer enfin la rétive racine.
Et pour l'accompagner, une viande longuement mijotée en daube au vin rouge et zestes d'orange, en l'occurrence des joues de cochon, une viande fondante à souhait, peu chère, mais injustement dédaignée peut-être parce qu'elle fait partie des abats.


Ingrédients (pour 4 personnes) : 
Pour la daube :
12 à 16 joues de cochon (suivant la taille)
2 bouteilles de vin rouge corsé, de type Corbières
1 gros oignon
3 carottes
2 gousses d'ail
1 bouquet garni (thym, laurier, sarriette)
le zeste d'une orange non traitée
quelques clous de girofle
QS sel, poivre, huile d'olive, farine

Pour les carottes : 
une dizaine de carottes des sables de beau volume
3 oranges non traitées
QS beurre, miel de châtaignier, sel, poivre, cumin moulu

Préparation : 
Faire revenir les joues de cochon dans une cocotte avec un peu d'huile pour les faire dorer. Les faire mariner 24 heures avec le vin rouge et les légumes épluchés (les carottes coupées en rondelle, l'oignon, l'ail), le bouquet garni, le zeste et les épices.
Le lendemain, faire chauffer la cocotte, ajouter les joues égouttées et les légumes, les singer avec un peu de farine, recouvrir de marinade. Monter la température juste avant l'ébullition, et baisser légèrement le feu quand une petite bulle apparaît en surface. Couvrir et laisser braiser tranquillement trois heures durant.
Pendant ce temps, éplucher les carottes. Les tailler sur une douzaine de centimètres en conservant leur partie la plus renflée. Réserver le reste, ainsi que deux d'entre elles, pour la purée.
A l'aide d'une perceuse munie d'une mèche à bois de belle dimension (en fonction de la taille des carottes) évider le centre des carottes sur presque toute leur longueur. A défaut utiliser un vide-pommes, mais c'est plus long et difficile.
Les blanchir 5 minutes dans de l'eau bouillante salée pour les précuire.
Zester les 3 oranges et presser leur jus.
Dans une casserole, réduire le jus, ajouter un peu de cumin en poudre et de miel de châtaignier pour réaliser un laquage. Egoutter les carottes et terminer leur cuisson à feu doux dedans (elles doivent rester un peu fermes pour pouvoir être garnies).
Cuire à l'eau salée le reste des carottes coupées en morceaux jusqu'à ce qu'elles soient parfaitement tendres. Les mixer finement, ajouter le jus de l'orange qui avait été utilisée pour la daube, le cumin, réduire, rectifier l'assaisonnement. Passer la purée au tamis, puis la monter avec un peu de beurrer et la placer dans une poche à douille.
Quand les carottes sont bien laquées, couper la poche à son extrémité et les remplir avec la purée en tassant bien.


Dressage : 
Dans une assiette disposer trois joues de cochon nappées du liquide de cuisson qui a bien épaissi. Disposer deux carottes à côté, les couper en deux pour laisser s'échapper la purée, ajouter un trait du jus de laquage restant. Décorer d'une pluche de fane de carotte.


Le saviez-vous ? 
La carotte n'a pas toujours été aimable, et sa réputation a mis du temps à s'installer.
Venue d'Iran ou d'Afghanistan, où on la trouvait à l'état sauvage il y a plus de 2000 ans, elle était utilisée par les Grecs et les Romains comme plante médicinale, mais ils ne l'aimaient guère à cause de sa teinte blanchâtre. Et la racine restera blanche et dure jusqu'au Moyen-Age, avant que n'apparaissent les premiers cultivars jaunes ou violets. Ce n'est qu'au XIXème qu'elle devient tendre et orangée grâce aux agronomes français et italiens qui lui donnent sa chance.