Coup de vent sur Donostia




Un réveillon à Donostia, dans un hôtel avec vue sur la baie, c'est une proposition qui ne se refuse pas. Mais, parce qu'il y a un mais, qui n'était pas la tempête spectaculaire qui s'est offerte à nos yeux depuis les baies vitrées de l'hôtel, encore fallait-il qu'elle s'accompagne d'un dîner digne de ce nom.




La quête du Graal

Pour le lire régulièrement sous la plume de contacts et d'amis, et l'avoir constaté en cherchant fortune d'un côté comme de l'autre de la péninsule ibérique, l'Espagne gastronomique n'en finit pas de se débattre avec les démons de la cuisine chimique et moléculaire initiée par quelques apprentis sorciers dans les années 2000. Alors que la France, passé l'effet de mode de ces années-là -sauf quelques exceptions qui ont la vie dure- revient à ses fondamentaux, faisant la part belle au pâté en croûte et autre lièvre à la Royale, la cuisine technico-émotionnelle a encore de beaux jours devant elle de l'autre côté des Pyrénées.

Puisqu'au pays de Sosa -vous savez, le monde merveilleux non pas de Candy ni du sucre du même nom, mais des texturants, gélifiants et autres poudres de perlimpimpin aux appellations plus exotiques les unes que les autres, - on n'arrête pas une affaire qui marche, la Saint-Sylvestre 2017 n'allait pas déroger à la règle. Du moins à en croire les différents menus que j'avais pu consulter en prévision d'une escapade à Donostia (le nom basque de San Sebastián). Mangue liquide, espumas, gélification, perles de..., quitte à se mettre sur son 31 la panoplie complète était de sortie ! Et las, personne pour me tuyauter sur the place to be, ou du moins celles à éviter.

Prenant mon courage à deux mains, j'ai donc farfouillé sur les sites de recommandation eux-mêmes plus ou moins recommandables, jusqu'à tomber sur une adresse qui tenait en un nom et claquait comme un coup de vent*, GALERNA. Sur le site, la carte semblait faire la part belle aux produits locaux, aux valeurs sûres de la région, créative, mais sans chichi, et les photos confirmaient cette impression.
On m'accorde souvent le sens de la prémonition, c'était donc là que j'allais claquer la porte à 2017 dans un grand souffle marin, d'autant que l'accueil, la réactivité de réponse et les pistes données sur le menu de ce réveillon m'avaient l'air plus que prometteurs.

Galerna, la divine surprise

Si Noël célèbre la naissance du divin enfant, cette intuition fut la divine surprise à laquelle nous ne nous attendions pas. D'abord parce que le lieu, un entresol quasi dépourvu de fenêtres à quelques pas de la place de Catalogne, se révéla d'emblée charmant : des murs usés blanchis à la chaux,  un jeu subtil d'éclairage, du bois sur les tables, des chaises en métal, des éléments de décor discrets et bien choisis, donnent à l'ensemble à la fois beaucoup de lumière et de chaleur, et procurent immédiatement une sensation d'être bien là, à l'abri, loin du tumulte.




Je tiens à rendre hommage aussi à l'accueil chaleureux de Rebeca, qui fut aux petits soins pour nous, sans jamais nous faire sentir que nous étions de pauvres touristes un peu perdus avec une langue que nous ne maîtrisions pas. En parfaite hôtesse, elle a illuminé de son sourire toute cette soirée, allant de table en table pour s'assurer que tout se passait bien, expliquer les plats qui défilaient, conseiller le vin, et donner à chacun le sentiment qu'il était important. Si cela semble aller de soi ce n'est plus souvent le cas, et pourtant c'est une composante essentielle d'un repas réussi au restaurant. Nombre d'établissements, en France comme en Espagne, devraient s'en inspirer.

Ma culture en matière de vins est bien pauvre, elle commence seulement à se construire, mais sur les vins espagnols je dois bien avouer qu'elle est proche du zéro absolu. Je ne commenterai donc pas plus avant la carte, mais dans ce néant je me suis accrochée à un nom dont je savais toute la réputation : Arretxea. Nous sommes donc partis sur la cuvée Hegoxuri 2015. Qui aurait mérité d'attendre m'a-t-on dit, mais qui a accompagné notre repas avec élégance.


Le bonheur dans l'assiette

Le bonheur, nous l'avons trouvé dans l'assiette, ou plutôt dans les assiettes. Alors que le moment, festif, appelait à des produits qui l'étaient tout autant, le chef, Jorge Rebe, a imaginé un menu intelligent, en les mariant aux spécialités locales qu'il cuisine à l'année avec brio, dans une simplicité d'autant plus bluffante qu'elle cache un vrai savoir-faire. Et surtout, loin des réveillons aux propositions standardisées dégoulinantes de (faux) luxe, histoire d'en mettre plein les yeux pour mieux vider le porte-monnaie, nous sommes allés à la rencontre des vraies valeurs de la gastronomie espagnole.


Un cocktail de litchi, citron vert et cava, tout en légèreté, ouvre le bal des agapes.

Le foie gras en bonbon, enrobé d'une panure de maïs et de pignons de pin, sur un trait de chocolat, est à la fois surprenant, gourmand et d'un bel équilibre. Rien d'affecté dans l'association, qui respecte le goût du produit et s'appuie sur son terroir d'origine. C'est bien vu et présage d'une suite heureuse.


En Espagne nous sommes, et l'assiette de bellota tranché à la main, parfaitement affiné, est pleine d'intelligence, là où d'autres auraient proposé un poisson fumé hors de propos. La chair du jambon fond sous la langue, le gras aux parfums de noisette tapisse le palais. C'est superbe.


Sur ce rivage atlantique, les huîtres sont à l'honneur. Là encore, loin de toute profusion, on a misé sur le produit, avec deux très belles Gillardeau, l'une nature, présentée avec un peu de citron, afin de savourer toutes les nuances du travail d'affinage, l'autre mâtinée d'un ajo blanco qui nous ramène à l'Espagne, de pomme marinée au sésame et de concombre. Le mariage est consommé dans l'instant tant il est heureux. Le sésame et le croquant de la pomme verte acidulée mettent bien en valeur le gras de l'huître, le concombre apporte de la fraîcheur. Rien d'ostentatoire, juste de la finesse.


Le plat suivant est un des classiques du restaurant, le thon rouge mariné, petits légumes croquants, glace wasabi. Le poisson est magnifiquement traité, posé sur un lit de crème de sésame, la glace wasabi se fait discrète, juste histoire de titiller nos papilles, les légumes croquent et apportent de la mâche. Même cette petite fleur jaune -dont je ne suis pourtant pas fan d'habitude- y va de sa note poivrée.


Une huile de Navarre aux notes herbacées est servie pour accompagner un pain à la croûte bien caramélisée, là encore une belle surprise de ce côté des Pyrénées -et même souvent du nôtre.


Autre plat signature de Galerna, le carabinero de Huelva, un crustacé goûteux, pêché dans le Golfe de Cadiz, servi avec des coques et une bisque de crustacés corsée. Jorge Rebe exécute avec maestria cette recette typique des fêtes espagnoles, que subliment la qualité et la fraîcheur des crustacés.


Pour garder cet esprit du produit local qui fait l'essence du pays, c'est ensuite la morue (bacalao) qui s'invite dans une assiette pleine d'esprit. Quelle bonne idée que d'associer à ce produit d'ordinaire rustique la flamboyance d'un caviar baeri qui sublime la chair nacrée du poisson, tandis qu'une crème de poireaux apporte sa douceur. Une feuille de mertensia ponctue l'ensemble de fraîcheur marine et de croquant.



La pièce de viande, spectaculaire de simplicité et généreuse, est une cuisse de canard gras issu du nord du pays, laqué à l'orange. La gourmandise est là encore au rendez-vous et la maîtrise de la technique est remarquable.


Le dessert, moins authentique, sacrifie à la mode des fruits déshydratés qui croustillent et brillent de mille feux sans rien apporter au duo de mousses chocolat noir et blanc dont la légèreté est appréciable en fin de repas. Je ne suis pas bec sucré, rien d'exceptionnel à mon goût, mais ça se laisse manger jusqu'à la dernière cuillère, d'autant que l'ensemble est accompagné d'une glace à la violette devant laquelle je perds toute raison.



Après bien des errances, plus le temps passe et plus j'aime quand les choses ont le goût de ce qu'elles sont. J'aime les assiettes qui racontent une histoire, celle d'un lieu, d'un terroir, d'un pays. Celle du cuisinier aussi, de tout ce travail qu'il engage pour nous donner du plaisir, de sa maîtrise technique tout autant que de sa créativité. Ce soir du 31 décembre, chez Galerna, j'ai trouvé tout cela. Et mon petit doigt me dit que Jorge et Rebeca ne vont pas s'arrêter là. Si vous passez par Donostia, allez vite découvrir l'adresse, elles sont peu nombreuses à valoir un tel détour.

* Galerna signifie coup de vent, souffle, ouragan, en espagnol.


Galerna

Kolon Pasealekua, 46 - Gros - 20002 Donostia-San Sebastián.
Tlf. 943 278 839
https://www.facebook.com/galernajanedan/