Grand-Mère sait faire du bon café !




On a tous dans le coeur une grand-mère oubliée, aux joues roses et poudrées, à la chevelure argentée... Parce qu'on a tous une grand-mère. On ne l'a pas toujours connue. Ceux qui ont cette chance retiennent une petite larme qui perle au coin de l'oeil -je vous vois ! Les autres se contentent de l'imagerie bon teint qu'on y associe, un bestiaire plus épais que le catalogue des Trois Redoutes de la belle époque. Parce que c'est si bon, si doux, une grand-mère. Cet être merveilleux qui pose son regard bienveillant sur vous, qui pardonne et qui passe tout. Qui réconforte et qui apprend. J'en parle d'autant plus aisément que la mienne m'a élevée. Je n'emploie pas le terme par hasard : elle a fait de moi ce que je suis. Elle ne m'a pas façonnée, non, elle m'a permis l'élévation, m'a ouvert toutes grandes les portes de la curiosité, du goût -le bon goût, celui de la culture et de l'élégance, et même du chic parisien, mais aussi et surtout le goût tout court, cet exercice des papilles trop souvent négligé. 

Sainte Mamie

Même s'il ne faut pas se leurrer -certaines tiennent plus de Folcoche ou de Tatie Danielle que de Marraine la Fée- la grand-mère idéale, magistrale Poupette de la Boum, est un monument bien plus célèbre que la tour Eiffel, que notre âme d'enfant -mais si, nous l'avons gardée- visite en secret plus souvent qu'à son tour. Et ça, nos chers marketeurs et nos industriels à la pointe du progrès l'ont bien compris. Depuis longtemps !




La figure grand-maternelle est somme toute récente. L'espérance de vie des femmes jusqu'à la seconde guerre mondiale étant de moins de 45 ans, cette icône n'a somme toute fait son apparition que tardivement, la marâtre (synonyme de belle-mère au sens de deuxième femme du père) et son cortège de clichés peu reluisants lui ayant longtemps volé la vedette. Les contes de fées d'ailleurs, n'abondent pas de mamies, les fées étant ce qui s'en approche le plus, tant dans Cendrillon que dans la Belle au Bois Dormant. Mieux, Mère-Grand, en lieu de faire rêver, a plutôt tendance à terroriser les petits enfants avec ses grandes dents, son grand nez, sa grande bouche... -je m'arrête là. Le XIXème siècle véhicule quant à lui l'image d'une femme pauvre et malade (Les Misérables, la Petite Marchande d'Allumettes...), abandonnée au ruisseau, le caniveau de la rue- qu'on croyait depuis longtemps révolue et qui refait surface aujourd'hui dans notre société malade, même si nous préférons détourner le regard.

Revenons donc à notre image d'Epinal. Celle de la grand-mère gâteau, qui cuisine au coin du fourneau et régale ses petits-enfants. La Gardienne du temple de la bonne bouffe, veillant sur la gourmandise, les bons produits de la ferme... Ah oui, parce que j'ai oublié de vous dire : mémé vit à la campagne, elle élève ses poules, dont les bons oeufs font les bonnes pâtisseries, elle fait ses confitures avec les fruits de son verger qu'elle a patiemment cueillis, elle mitonne (ou mythonne???) des ragoûts dont le fumet enveloppe toute la cuisine, dans des casseroles en cuivre et des cocottes en fonte. Le tout si possible en Provence -tant qu'à aller chez les péquenots, autant y aller au sud, il fait plus chaud, le soleil brille et les cigales chantent, elles chantent d'ailleurs très souvent en musique de fond dans nos pubs préférées).

Mamie machine !

Bref, mamie est parfaite. Une vraie machine à cash la vieille ! Et puis pas besoin d'engager une star, genre Adjani ou Parillaud, pour vanter la qualité du produit. Avec l'argent du nettoyage on s'achète des pubs. Et quand on y regarde de plus près, les têtes blanches ont envahi le PAF depuis un sacré bout de temps.
Curieusement, les années 60 ont surtout vanté la ménagère de moins de 50 ans -à  l'époque on était vieille très jeune Mesdames ! Mais les seventies arrivent, ringardisant la femme au foyer, l'adepte du presse-purée et de la lessiveuse. Du coup, pour vanter la qualité de la machine à laver, cet équipement révolutionnaire qui entre dans tous les foyers, bien plus vite que ne l'a fait l'ordinateur (et là je laisse les chiennes de garde cogiter sur la puissance de la volonté féminine 😉 ), une nouvelle héroïne se fait jour : la grand-mère. Et quelle grand-mère : la mère Denis !* Alors je vous le concède, elle n'était pas glamour, avec sa blouse fleurie, son accent à couper au couteau. Mais elle fleurait bon la campagne, dont par ailleurs on cherchait à s'échapper à tout prix pour aller s'entasser dans des tours HLM de banlieue et bouffer du poulet aux hormones cuisiné avec amour par Vivagel.



Irais-je jusqu'à dire qu'elle a hanté mes rêves d'enfant, avec son fameux : "c'est ben vrai, ça" ?
Parce que c'est çà le truc, le coup de génie. Mamie ne peut avoir tort. Si elle vous dit que c'est bien, foncez ! Et pour foncer ils y sont allés, se sont tous engouffré dans la brèche. Mamie Nova, Mamie Nova, ils font tous rien que de m'embêter. Grand-Mère sait faire du bon café...  Celle-là, elle a réussi mieux que les autres, elle a même une fête à elle : la fête des Grands-Mères. Après l'imposture de la Saint-Valentin, qui permet une fois par an à Jules de faire croire à Nana qu'elle est la seule, l'unique, l'élue de son coeur, bouquet de fleurs à la main, après un petit détour au bordel du coin (ah zut, ils ont fermé, je ne rajeunis pas, je suis sur la pente dangereuse de la grand-merdisation 😜 ), la lobotomisation orchestrée par Disney pour nous vendre citrouilles, cotillons et confettis l'avant-veille de la fête des morts, une marque de café parmi les plus immondes, surfant sur la vague des cheveux blancs, nous l'a faite à l'envers sur un mois qui ne comptait pas (encore) de fête commerciale, en association avec les fleuristes du coin qui tiraient la langue devant l'effondrement de leurs ventes de roses rouges. Et donc Grand-Mère, qui sublimait déjà le jus de chaussette, s'affiche désormais sur les chaînes nationales pour chanter les louanges du troisième âge, faisant décoller dans le même temps les ventes de la marque qu'elle sponsorise, le braconnage des jonquilles et les cons sur orbite.

Mamie sait faire du bon gâteau.


Forcément, l'univers privilégié de ces grands-mères tapineuses, c'est l'agro-alimentaire. Parce qu'il ne faut pas se cacher derrière son petit doigt, on ne parle pas de cuisine là. Ni de grosse bouffe ni de gastronomie. Juste des produits industriels alignés dans des rayons de supermarché, qu'on habille de tradition pour plaire au consommateur poussant son caddie de l'air entendu de celui qui sait. Et plus exactement du sucré. Yaourts, confitures, petits gâteaux plus ou moins secs, pâtes à tarte... On laisse à Monsieur Marie et à Ducros le soin de se décarcasser pour le salé -sauf les pâtes, avec Germaine, et les céréales, où trois vieilles bretonnes décoiffantes râlent depuis tant d'années sur le fait que des pirates leur auraient volé leur recette que l'une d'entre elles a fini par en claquer, sitôt remplacée par une jeune vieille, on n'arrête pas une affaire qui marche !


Et pour ce qui est du cliché on ne fait pas dans la demi-mesure. Tout y passe, la serviette à carreaux, le fameux tour de main, le trésor, voire le "secret", histoire de vous faire sentir important, le beurre -qu'on cherche en vain dans la composition si on a eu la présence d'esprit d'apporter une loupe, le bon lait (forcément bon, c'est du lait issu du pis de la vache, et pis c'est tout), la crème (ah la crème, onctueuse, légère, aérienne, une vraie pub pour les artères), les fruits gourmands, si beaux, si ronds, si parfaits -des framboises et des cerises de compétition, sans blague, on ne vous la fait pas à moitié ! J'allais oublier, dans les dernières nouveautés, sur lesquelles on a attiré mon attention tout à l'heure : le coeur de blé. En matière de fromage, on avait déjà le coeur de meule, d'un certain Président. Maintenant on a aussi le coeur de blé. Quand on sait à quoi ressemble un grain de blé, on est certain du meilleur, parce que là, on gâche sacrément en retirant le tour.  Tout ça pour vous, tant de sollicitude. J'en pleurerais presque -non, pas de joie, n'exagérons pas.

Grand-Mère lave plus blanc que blanc !


Mais les mémés ont depuis quelque temps de la concurrence. De petits malins, qui n'ont pas le sexe des anges, se sont engouffrés dans le créneau. Michel et Augustin, Les 2 Vaches..., ont ringardisé les vierges du troisième âge, dont les cheveux bleuis au Reckitt n'avaient rien à envier à la robe de Marie sainte-mère de Dieu. Allait-on assister à une nouvelle vague de chômage ? Granny pointant à Pôle Emploi, des queues de déambulateurs aux guichets ? Que nenni. Les queen mums, sentant leur heure venir, avaient anticipé. Tout n'étant qu'histoire d'argent, autant aller à la source. Et Cetelem fut ! Elles ne sont pas drôles ces tricoteuses du futur, appliquées à leur tâche, comptant les points et le tombé de la tenue éminemment sexy d'un pseudo martien ? Elles en ont même fait un tremplin de carrière à titre individuel. Parce qu'on les a vues partout les coquines. Envie de faire le buzz, d'assurer une com ? Pas de souci, y a mamie ! Le cheveu blanc a le vent en poupe. A tel point qu'il est devenu tendance pour des femmes plus jeunes, qui jusque là auraient couvert ce signe de l'âge, d'afficher leur tête chenue, voire de se blanchir volontairement.

Goodbye Marilou...


Cet engouement pour le troisième âge a permis de balayer le cliché du mannequin forcément jeune. Avec l'émergence de femmes -et d'hommes d'ailleurs- assumant leurs âge et leurs rides. Et l'on a (re)découvert qu'il n'était pas si moche d'avoir des heures de vol au compteur dans une société vieillissante qui, noblesse oblige, compose avec ses quiquados et ses retraités voyageurs. Polnareff bien avant l'heure, et Jean-Paul Gaultier depuis quelques années, ont porté ce mouvement, faisant apparaître dans leurs clips ou leurs défilés des femmes non standardisées, qui aujourd'hui affichent sans complexe leurs rides épanouies sur papier glacé, faisant ainsi un sort à la quête de l'éternelle jeunesse et aux dérives de la chirurgie esthétique. Et de fait, les mamies sexy sont partout. Dans les clips, les sitcoms, en stars d'émissions télé.


Je n'en reviens pas, je vais être à la mode ! Mes petits-enfants seront fiers de moi. Je ferai mes courses en robe moulante, perchée sur des talons hauts, ou en jean serré et baskets pailletées. J'irai au concert des Stones ou des Insus, je jouerai les groupies en hurlant dans le public et je leur expliquerai pourquoi c'est bien en chattant avec eux sur Snapchat. Je taperai mes SMS avec les pouces, et peut-être même que je leur ferai des gâteaux, avec du beurre dedans...**




* J'ai fait l'impasse sur les mamies tricoteuses d'une pub terriblement sexy, elles étaient en avance sur leur temps.

** Je ne résiste pas à partager cette vidéo d'une grand-mère qui déchire, Iris Apfel.